lundi 28 mars 2011

20 - King Kong

20 - King KongUn après-midi, Che-Nen devait aller faire une course dans un hypermarché du coin. Je me propose de le conduire jusqu'à l'enseigne AAAAA (pas de pub, ils s'enrichissent assez comme ça sur le dos des gens) mais il se met à rire nerveusement. Je l'interroge, il m'explique : dans l'année 1976, alors qu'il était tout gamin, ses parents l'avaient pris avec eux pour faire des courses un samedi après-midi dans ce magasin qui venait tout juste de s'ouvrir. Et pour attirer les gens du coin, peu habitués à ce type de magasin à l'époque, l'enseigne avait fait venir une attraction installée sur le parking : un King Kong articulé géant ! Et cela avait effrayé le pauvre enfant qu'il était alors...
Depuis, il avait toujours une trouille vertigineuse et peu raisonnée du magasin en question. Rien que d'évoquer la possibilité d'y aller l'angoissait. A cette époque-là, j'étais un adolescent ricaneur et stupide. Et je me souvenais très bien de cette marionnette « géante » que j'avais trouvée grotesque d'ailleurs : on lui voyait toutes les mécaniques et son côté « carton pâte », et en plein dans un âge de contestation, j'en ricanais tellement fort que j’étais parvenu à agacer mon père (c'était le but du jeu aussi) qui m'avait « interdit » de venir faire des courses avec lui !20 - King Kong
Combien de fois, quand Che-Nen me racontait cette douleur, ai-je été persuadé que ce jour-là, nous nous aurions pu nous croiser une première fois. Cela ne servait à rien de tenir ce raisonnement : il avait 2 ans, j'en avais 15 ! Mais cette idée théorique me plaisait. Et aujourd'hui, au regard des évènements dramatiques qui se déroulent au Japon, je me demande si Che-Nen qui réside volontairement en Corée du Sud donc, déteste encore ces gros monstres de pacotille si importants pour un Asiatique puisqu'ils leur permettent de symboliser tous les maux de la société.
Aujourd'hui, je me demande ce qui pouvait bien tant l'effrayer : suis pas loin de penser que le petit garçon a vécu là un putain de cauchemar de castration, lui si petit, la bête si immense.
20 - King Kong

dimanche 20 mars 2011

19 - Un père et son fils

Je suis allé à Maubeuge cet après-midi. Garé pendant trois heures, non loin de là où je sais que son père habite. C'est un vieux monsieur, désormais,très petit, beau avec une magnifique chevelure blanche. Il trotte encore très bien. Je lui donne dans les 90 ans, un peu moins sans doute. Honorable vieillard.
La première fois que je l'ai vu, remonte à 1991. Durant le printemps. Il avait encore des cheveux noirs, comme ceux de son fils. Plus tard je me dirai, le croisant en ville, que Che-Nen lui ressemblerait un jour. En ce printemps 91, il m'a même adressé une fois la parole : il était monté dans les remparts un dimanche après-midi que j'y étais aussi, espérant y rencontrer Che-Nen qui déjà commençait à m'éviter régulièrement. Il cherchait son fils et me demandait si je n'avais pas vu un garçon, petit, dit-il en me désignant de ses doigts la hauteur de son épaule ? Ce jour-là, j'ai failli lui sourire avec sympathie et lui avouer combien j'aimais son fils à la folie...Il était accompagné par Laurent, grand frère de Che-Nen ai-je appris plus tard. Il avait l'air sévère, dur, celui-là : j'ai toujours pensé qu'il avait lu dans ma réponse négative que je connaissais bien son petit frère. 19 - un père et son fils
Bien-sûr que j'ai su tout de suite que c'était son père. Ils avaient exactement le même regard sombre, infiniment abyssal. La même manière de se bouger le corps lorsqu'ils marchaient. Une telle ressemblance physique ne m'a qu'à moitié étonné et j'ai compris instinctivement pourquoi ces deux-là se battaient. Ils étaient trop évidemment de même complexion pour supporter chez l'autre de contempler son opposé.
J'ignore aujourd'hui s'ils se sont réconciliés. L'un resté à Maubeuge. L'autre exilé volontaire en Corée du Sud, à quasi égale distance de Tokyo et de Beijing... un peu comme s'il n'était jamais parvenu à choisir vraiment entre les deux parts de lui-même. Ce vieux monsieur aperçu cet après-midi, enfin, au bout de trois heures d'attente, je n'ai pas osé l'aborder. Lui demander des nouvelles de Daegeon. Mais j'ai été heureux de le voir. Nos regards se sont croisés et c'est comme si j'avais revu Che-Nen.

19 - un père et son fils

03 - Papas trahis

Je ne suis vraiment pas du genre militant. Même si, à 18 ans, je me suis précipité dans un parti de gauche, juste histoire de contredire mon père. Ce qui ne l'a pas mis en colère d'ailleurs, contrairement à mes espoirs. A posteriori, je crois même avoir perçu une lueur de fierté quand il a vu l'enveloppe à en-tête de la place du Colonel Fabien. Et je n'ai vraiment jamais eu le goût des bannières derrière lesquelles on est prié de se ranger plus ou moins sagement.
Hier, mon compagnon m'a appelé pour me faire lecture du jugement rendu à propos de sa demande de droit de garde de son fils. Il pensait que les choses iraient dans le sens du vent : une garde partagée. Au pire, il s'attendait à un simple droit de visite régulier, et se voyait déjà accueillant son gamin à la descente du train à l'occasion de vacances scolaires...
03 - papas trahis
Il a un mois pour faire appel de la décision inique rendue : il ne pourra voir son fils que dans les locaux d'une association de protection des enfants, en présence de la mère et d'une tiers-personne. Et seulement durant trois heures chaque mois.
Maki est effondré. Il se sent traiter comme le dernier des salauds, ce qu'il n'est évidemment pas. Il y a des jours où je me demande pourquoi on dépense autant d'argent pour décider tant de conneries. Il existe quelque part, en France, un mec qui a fait des études très poussées en Droit ; peut-être un homme un peu âgé, avec de l'expérience ; à qui il a été donné le droit de juger ses concitoyens... Et cet homme prétend avoir fait ici acte de justice ? Quelle blague !

jeudi 17 mars 2011

18 - Seul, sol, sale

18h30, ici, en France. 02h30 à Daegeon. Que fait Che-Nen ? Dort-il à poings fermés ? Se retourne-t-il dans ses draps, en sueur, angoissé ? Connait-il lui aussi, à son tour, ces nuits improbables qui, non seulement n'en finissent pas, mais qui ont du mal à commencer. Les mêmes que j'ai moi-même vécues lorsqu'il m'a abandonné, en ce mois de juin 1991. Sait-il enfin toute la souffrance que l'on peut ressentir lorsqu'on se morfond dans un lit de douleurs, seul, isolé parmi les foules ?
18 - Seul, sol, sale.
A-t-il approché l'indicible, l'innommable ? Ce sentiment infernal qui m'a littéralement exclu du monde lorsqu'il refusait même de me regarder tandis que je pleurais toutes les larmes de mon corps.
18 - Seul, sol, sale.

lundi 14 mars 2011

17 - Lumières

Encore une nuit agitée... Je ne parviens que difficilement à trouver le sommeil, tard. Et très tôt, quelque chose me réveille. Ce sont les problèmes que rencontrent les Japonais, qui m'encombrent l'esprit. Depuis environ 04h30 ce matin, je remue ces idées sombres dans ma tête. Pour me distraire un peu, et tenter de trouver un peu de repos tout de même, je me laisse bercer par la lumière du jour qui point peu à peu au travers le volet incomplètement baissé, exprès. Cette lumière naissante m'en rappelle une autre, finissante.
17  - Lumières
C'était un soir de mars 1991, un mercredi si mon souvenir est correct. Je venais de coucher les enfants. L'atmosphère était pesante dans l'appartement, sans doute je venais encore de m'engueuler avec leur mère. Je suis sorti prendre l'air. Nous habitions alors en périphérie de la ville : un petit dix minutes à pied pour rejoindre le centre suffisait.
Comme je remontais la rue du 145 ième RI, la nuit finissait de descendre. Il devait être dans les 20h30, les devantures des magasins s'enluminaient. En passant devant le restaurant italien, mon regard fut attiré par une tâche sombre dans la lumière de la salle : elle était quasiment vide, en semaine, de clients... C'est la chevelure noire de Che Nen qui contrastait avec le fond blanchi du mur, qui m'avait attiré l'œil. Il était attablé, seul, au fond de la salle. Nos regards se sont immédiatement croisés et compris. Je suis entré le rejoindre. Une bise. Comment ça va ? Tu fais quoi un mercredi ici tout seul, si tard ? Je m'inquiétais pour lui comme un père s'inquiète pour son fils.
Il venait de s'engueuler avec son père justement. Et comme à leur habitude, la dispute s'était terminée en pugilat. J'ai su plus tard que c'était Che Nen qui frappait son père. La seule fois de ma vie où j'ai eu à rencontrer un tel cas de violence familiale grave. Il était énervé. Je veux dire : il était à bout de nerfs. Au bord des larmes. Il me fait vite comprendre qu'il doit partir. Je le vois régler de quelques billets tout propres son repas, jetés négligemment sur la table. Ce côté « petit-bourgeois » m'a souvent épaté chez lui, ébloui parfois, moi qui ait toujours détesté ces gestes larges et assurés.
Sur le trottoir, il me dit rentrer chez lui. Il prit le chemin inverse au mien. Vers 22h00, le froid commençait à devenir gênant, je rentrai à l'appartement. Comme la porte s'ouvrait lentement, pas faire de bruit, pas réveiller les enfants endormis, le son d'une conversation tapissait le silence prévisible : dans le salon, assis l'un en face de l'autre, Che Nen discutait calmement avec elle !
Dehors, c'était la même lumière que ce matin qui tapissait le ciel.17  - Lumières

vendredi 11 mars 2011

16 - Maudit réveil

16 - Maudit réveil
Putain de réveil ce matin ! Un tremblement de terre vers Tokyo, me dit le journaliste à la radio : paupière gauche qui se lève... Tokyo tremble sérieusement, 8,8 du côté de l'échelle de Richter : paupière droite qui papillonne...En fait, c'est plutôt Sendaï qui est touchée, notamment à cause d'une vague qui est entrain de déferler, ajoute-t-il vers 08h05...
Quoi ? Qu'entends-je ? Je saute du lit ! BFM est en phase de pub, ce sera donc i-télé. La vague est là, en direct, qui dévale sur les champs et dans des hameaux... Les reporters japonais qui filment ça en direct d'un hélico sont des mecs bien professionnels, pas des tarés qui cherchent le scoop : quand une voiture semble se faire rattraper par la vague, l'image dézoome et on passe sur un plan général. Merci le professionnalisme japonais. J'en dirais pas autant des Français qui insistent absolument pour interpréter ces images : « regardez cette malheureuse voiture qui se fait rattraper par la vague, en haut à gauche de votre écran »... Vraiment écœurant !
Et Che-Nen, à Daegeon ? 1000 kilomètres environ... Je sais maintenant ce qui m'a définitivement réveillé. Le tremblement de terre, même à 8,8 m'a fait peur mais parce que je kiffe grave les Japonais. Le tsunami en direct m'a littéralement effrayé : un retour de celui de Thaïlande de Noël 2004, sans doute... 1000 km à parcourir pour un tsunami de cet ampleur, c'est pas bien long...
J'ai tenu 5 minutes devant la télé en direct : au-de-là, voir des gens mourir sous des commentaires, ça me fait vomir. Déjà, en 2001, le 11 septembre...insoutenable. Ici (10 ans de plus tout de même, ça blinde un peu, surtout à la cinquantaine), cinq minutes m'ont été nécessaires pour me persuader que la violence de cette vague n'ateindra pas Che-Nen. Pas physiquement en tout cas. S'il est encore aussi tendre que lorsque je l'ai connu, il doit être H.S. 16 - Maudit réveil