Un
après-midi, Che-Nen devait aller faire une course dans un hypermarché
du coin. Je me propose de le conduire jusqu'à l'enseigne AAAAA (pas de
pub, ils s'enrichissent assez comme ça sur le dos des gens) mais il se
met à rire nerveusement. Je l'interroge, il m'explique : dans l'année
1976, alors qu'il était tout gamin, ses parents l'avaient pris avec eux
pour faire des courses un samedi après-midi dans ce magasin qui venait
tout juste de s'ouvrir. Et pour attirer les gens du coin, peu habitués à
ce type de magasin à l'époque, l'enseigne avait fait venir une
attraction installée sur le parking : un King Kong articulé géant ! Et
cela avait effrayé le pauvre enfant qu'il était alors...
Depuis,
il avait toujours une trouille vertigineuse et peu raisonnée du magasin
en question. Rien que d'évoquer la possibilité d'y aller l'angoissait. A
cette époque-là, j'étais un adolescent ricaneur et stupide. Et je me
souvenais très bien de cette marionnette « géante » que j'avais trouvée
grotesque d'ailleurs : on lui voyait toutes les mécaniques et son côté
« carton pâte », et en plein dans un âge de contestation, j'en ricanais
tellement fort que j’étais parvenu à agacer mon père (c'était le but du
jeu aussi) qui m'avait « interdit » de venir faire des courses avec
lui !
Combien de fois, quand Che-Nen me racontait cette douleur, ai-je été persuadé que ce jour-là, nous nous aurions pu nous
croiser une première fois. Cela ne servait à rien de tenir ce
raisonnement : il avait 2 ans, j'en avais 15 ! Mais cette idée théorique
me plaisait. Et aujourd'hui, au regard des évènements dramatiques qui
se déroulent au Japon, je me demande si Che-Nen qui réside
volontairement en Corée du Sud donc, déteste encore ces gros monstres de
pacotille si importants pour un Asiatique puisqu'ils leur permettent de
symboliser tous les maux de la société.
Aujourd'hui,
je me demande ce qui pouvait bien tant l'effrayer : suis pas loin de
penser que le petit garçon a vécu là un putain de cauchemar de
castration, lui si petit, la bête si immense.