samedi 30 avril 2011

06 - Fa

Je vais la désigner ainsi : Fa. D'abord parce que je ne me sens pas le droit de parler d'elle sans son autorisation. Ensuite, je trouve que ça lui va bien, tout bêtement. Essentiellement dû au fait que cette quatrième note de la gamme symbolise pour moi l'inimaginable. Douze notes, si on compte les dièses et une infinité, toujours renouvelée, de combinaisons, au fil du temps. C'est au moins aussi magique, miraculeux, que le langage.
06 - Fa
Fa m'a fait cette impression dès notre second rendez-vous (faut dire que le premier, j'ai pas vu grand-chose, sonné que j'étais d'être entrain de mourir à petits feux) : elle a eu l'exacte distance absolument nécessaire, essentielle, vitale même qui doit être « lancée » entre le médecin et son patient. Sans laquelle, il ne peut y avoir de tentatives de guérison. Elle m'a, bien entendu, automatiquement vouvoyé. Mais c'était un vouvoiement complice, un peu comme on peut ainsi l’entendre dans les couples vieux-jeu. J'ai rien compris de ce qu'elle m'a expliqué...ou plutôt, j'ai trouvé ses explications inutiles (dérisoires puisque j'allais mourir)...mais grâce au son de sa voix, elle a su tisser un lien entre moi qui sombrait, et elle qui était le quai.
Un an après, lors d'une consultation, elle m'a avoué, au détour d'un geste médical : « Vous allez bien, Monsieur Chose ? »
« Oui, ça peut aller... Grâce à vous, docteur, grâce à vous...je ne vous remercierai jamais assez... »
06 - Fa
« Mais je n'y suis pour rien... Et franchement, l'an dernier, on m'aurait dit que je vous aurais revu à la fin de l'été... Vous croyez en Dieu, Monsieur Chose ? Vous revenez de loin, vous savez. Vous avez failli mourir l'an dernier. Vous tardiez quinze jours de plus et vous auriez déclenché de manière irréversible le sida. » .

jeudi 28 avril 2011

05 - Anniversaire...

Et c'est un sacré luxe d'avoir l'âme d'un combattant lorsque, en même temps que de fêter ce quatrième anniversaire, je me dois – hélas – de « célébrer » également le bientôt dixième anniversaire de mon mogwaï...05 - Anniversaire...
C'est effectivement en juillet 2001 que j'ai bêtement su que j'hébergeais en moi ce petit
05 - Anniversaire...
mogwaï... J'étais entrain de développer la vilaine petite bête, depuis le temps qu'elle était là,

tapie : je maigrissais à vue d’œil depuis six mois, je ne mangeais quasiment plus, je soufflais au moindre effort, j'avais des vertiges plusieurs fois par jour... J'aurais pu savoir avant ça que j'étais atteint... J'ai pas voulu savoir... J'ai, objectivement, refusé de voir cette réalité-là. Aussi dingue que cela puisse paraître, je ne m'étais pas fait dépister une seule fois depuis 1997 ! Je ne me souviens plus de tous les détails de cette période chaotique. Juste que, au bout de mes forces, je me suis raccroché au regard perçant -- étrangement distant -- du petit bout de femme avec qui j'avais rendez-vous au centre de Tourcoing : on me l'avait présentée comme le bras droit du professeur Mouton. Ce jour-là, j'ai rencontré mon sauveur.

vendredi 15 avril 2011

02 - 14 avril 2007 (partie 2)

Néanmoins, j'ai repéré son regard furtif vers moi. Du coup je gare ma voiture dans une rue adjacente et je reviens roder autour de la sienne, à pied. Ce manège a duré jusque 01h30 du matin... Il osait pas en descendre et moi je n'osais pas trop m'en approcher. C'est peut-être la fatigue qui l'a décidé à me suivre dans le parc.
Arrivé au pied d'un pin, là où la nuit nous confondrait à coup sûr, je me suis arrêté. J'ai entendu ses pas de plus en plus proches ; sa main caressante sur mon épaule droite. Je lui ai fait face, me suis mis à genou. Il a débouclé la ceinture de son jean que j'ai fait glissé sur ses cuisses.
Nous avons terminé la nuit dans mon lit. C'était le samedi 14 avril 2007. Jamais je n'aurais cru fêter, hier, un quatrième anniversaire pour notre couple. Cette rencontre d'un soir qui dure, dure, dure, m'a rendu l'âme d'un combattant.

mercredi 13 avril 2011

01 - 14 avril 2007 (partie 1)

C'était un samedi soir. Je venais de terminer mon repas, il était 22h00 et j'étais anéanti de fatigue : 800 km de route dans la journée... Je sors pour fermer les volets de la porte et de la fenêtre. La lune est ronde, superbement rousse. Un doux vent finit de me convaincre. Je referme la maisonnette des vacances et je roule vers Saint-Nazaire.
Vers 23h00, je suis enfin là où "ça se passe" quand on veut se trouver un mec. Je commence à "tourner" entre les arbres du parc. Personne. Ou pas grand monde d'attirant. Sur les minuit, je finis par revenir sur le parking où se trouve ma voiture, bien décidé à aller me coucher le plus rapidement possible, un peu en colère contre moi-même d'avoir poussé à la limite ma résistance physique. Depuis 2002 que je suis séropositif, je fatigue vite le soir.
Sur le parking, peu de voitures. Mais l'une d'elle est garée très à l'écart et sa place est incongrue. Je passe devant. A travers le pare-brise, il me semble percevoir une tête. Très indistinctement. Je poursuis mon chemin qui m'éloigne de cette ombre. Une fois mon moteur en route, un doute me lancine. Au lieu de sortir du parking directement, je dévie vers cette voiture. Dans les phares, je distingue mieux la silhouette : c'est un « Black ». Il fait semblant de pianoter son téléphone portable.

mardi 12 avril 2011

05 - Black 'n White

05 - Black 'n White
Alors, en se balladant sur la toile, je suis retombé sur un site très sympa. C'est un Canadien qui tient ça. Photographe de son état, si j'ai bien compris... Et quel photographe ! Il prend pour sujets des danceurs noirs. Il semble qu'il vive à Toronto. Et vraiment, c'est chouettement esthétique. Et je vous conseille son album de portraits. Ce type doit bien avoir la cinquantaine mais qu'est-ce que j'aimerais avoir cette niaque teintée de désespoir. De fort belles choses à admirer. Et quand j'en sors, je sais bien que je suis fondamentalement heureux.
05 - Black 'n White

lundi 11 avril 2011

04 - Azidothymidine

On a oublié quoi, dans la valse des souvenirs ? Plein de choses, évidemment ! A commencer par la chronologie. Mais aussi les évènements eux-mêmes : ce qui est remonté à la surface, c'est une narration, forcément erronée. L'essentiel y est, pas de doute. C'est même ainsi que ça s'est déroulé. Mais le passé est-il susceptible de remplir le présent ?
Ma liaison avec Bruno, qui a duré quelques mois, ne s'est pas exactement arrêtée lorsqu'il m'a avoué être séropositif. Ce jour-là, oui, je me suis sauvé. Apeuré. Affolé. Nous nous sommes revus peu de temps après. Il n'osait pas revenir vers moi. C'est moi qui y suis allé. Nous sommes "ressortis" ensemble pour quelques semaines encore. Ce n'est pas sa séropositivité qui nous a séparé car c'est vrai qu'il fut tout le temps précautionneux. Trop peut-être. Non, c'est son entêtement à vouloir me faire divorcer puis à vivre avec moi dans l'appartement que j'avais emménagé...J'ai jamais aimé qu'on me force la main.
Nous nous sommes séparés donc. Trois jours après, il avait trouvé un nouveau compagnon qui n'a pas su s'occuper de lui, de sa santé. Bruno, infecté et sous AZT depuis 1987, s'est écroulé un dimanche matin, sur un trottoir : rupture d'anévrisme. Il venait d'avoir 39 ans.
Là, nous sommes en 1999.

samedi 9 avril 2011

23 - Sourd


23 - Sourd
Je n'ai pas écouté. Forcément, j'ai pas pu l'entendre. Quand, en janvier 91, dans ce coin, un peu glauque, du buffet de la gare de Maubeuge, chacun devant un café tiédasse, il m'a dit, répété, susurré qu'il m'aimait... Non ! Je peux dire que mes oreilles se sont littéralement bouchées. J'ai pas voulu l'entendre.
Si je m'étais laissé enchanter, tout aurait volé en éclats : le ménage, les enfants, la santé, le sérieux professionnel, etc...Ça, c'est arrivé mais plus tard... Lent à la détente ? Non ! Juste cohérent. Ou, plus exactement, j'ai tenté de conserver une certaine cohérence. Je l'ai déjà dit : je suis incapable de faire, d'être plusieurs [ choses ] à la fois. Il m'a fallu au moins deux ans pour changer d'enveloppe.
23 - Sourd

vendredi 8 avril 2011

03 - mytho

Je sais plus comment je me suis retrouvé coincé contre ce mur humide de briques rouges. C'était dans les remparts, en 1992. Il s'était collé à moi. Visage contre visage. Torse contre torse. Cuisses contre cuisses. Il était très poilu. A peine plus âgé que moi. Beau. Il a su me distraire de Che Nen.

Je crois que j'étais venu là, un samedi matin assez tôt, dans l'espoir idiot de rencontrer Che Nen. Je savais d'avance le tour inutile. Bruno était là. Il draguait. Plus tard, il m'a dit que c'était comme ça qu'il avait toujours gagné sa vie. Il revenait tout juste de Paris où il avait vécu toutes les années 80. Bruno avait la réputation de beaucoup exagérer les évènements.03 - mytho

Un samedi soir, quelques mois plus tard, nous étions chez un ami qui nous prêtait sa chambre, il s'est gravement penché sur mon visage pour me dire qu'il devait « avouer un secret »...il hésitait...semblait avoir peur...Ce soir-là, je suis reparti en vitesse. Effrayé. Eperdu. Trahi. Il ne m'a pas menti, ce soir-là.
C'était ma deuxième rencontre avec le virus.

22 - Disparition

Alors là...je le crois pas ! Voici trois jours que je tente en vain de me connecter à son site internet qu'il avait créé pour son arrivée en Corée du Sud... et pas moyen ! Les pages ont été effacées !
22 - Disparition
J'y avais laissé un ou deux messages pour lui signaler mon passage... Les a-t-il lus ? A-t-il mal réagi à ces messages ? Ou est-ce le site qui s'éteint de lui-même au bout de cinq ans d'inactivité ? Je l'ignore et ne le saurai sans doute jamais...
Mais je veux bien croire que c'est lui qui ait volontairement éteint ce site perso. Cela me donne au moins l'espoir qu'il ait pu – certes en être mécontent mais – au moins me lire, savoir que j'existe encore quelque part, que je pense encore beaucoup à lui. Même si ce n'est plus dans la même optique qu'à l'époque. Néanmoins, dans ce cas, je dois alors reconnaître une certaine méchanceté de sa part qui me rappelle cruellement l'ignominie avec laquelle il m'avait rejeté au printemps 90. La souffrance qui me tenaille encore parfois lorsque j'y repense.
D'un autre côté, je veux bien aussi croire (espérer ?) qu'il a pris note de l'adresse de mon site...qu'il est peut être entrain de le lire...qu'il me comprend enfin.

lundi 4 avril 2011

02 - Ken Meaks

02 - Ken Meaks

Au début des années 80, le Time Magazine traine sur la table du petit-déjeuner. Une de mes sœurs s'y est abonnée par snobisme. Je ne pige pas encore très bien l'anglais malgré neuf ans de première langue. Mais la photo est attirante : un type en fauteuil roulant, barbu, d'aspect très chétif, poussé par un autre mec, visiblement amis... La légende dit à peu près qu'ils ont débarqué en Suisse la semaine d'avant car le gars dans le fauteuil est atteint d'une maladie dont personne ne parvient à trouver l'origine et dont il est entrain de mourir lentement.
On n'en sait pas plus. Je ne mettrai un nom sur ce cas-là que rétrospectivement quelques années plus tard, au cœur des années 80. Mais dans mon esprit, ce mec est le premier séropositif de mon existence. J'ignore son nom mais j'associe, je confonds -- avec le temps -- celui-là et la célèbre photo de Ken Meaks. En hommage à ces deux-là, je voudrais raconter mon propre parcours dans ce putain de labyrinthe.
02 - Ken Meaks
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dimanche 3 avril 2011

01 - 魔怪 ( mogwaï )




Il se dit dans la tradition chinoise que ces petits lutins venaient parfois embêter les humains. Ceci dit, je fais, en utilisant ce terme de substitution, plutôt allusion au film de Joe Dante...à ces gentils monstres qui se métamorphosent en véritables démons pour peu qu'on les alimente après minuit ; et qui craignent la lumière du jour aussi. C'est par ce nom que j'ai envie de désigner mon H.I.V.... Ce sera mon « mogwaï ».


Parce qu'après tout, je sais avoir en moi des « petites choses » qui, un jour, lassées d'être contenues par les trithérapies, vont se métamorphoser en véritables tueuses...









Mogwaï, en chinois.






samedi 2 avril 2011

21 - Ici et juste à côté

Si j'ai longtemps ressenti l'étrange impression que m'a procuré le contraste de sa chevelure noir de jais avec la blancheur floconneuse de la neige, je dois avouer ne m'en être jamais tout à fait remis. De fait, il y a toujours comme un décalage entre ce que je vis et ce que je ressens. Comme si je n'étais plus présent au monde, inscrit dans la réalité.
21 - Ici et juste à côté.
Les choses se produisent. Je les vois se dérouler. Je les analyse et je réagis à leurs stimuli. Mais il y a en retrait, un moi qui observe tout cela avec une grande indifférence. C'est pas de la schizophrénie parce que ce ne sont pas deux personnes différentes, l'une qui guiderait l'autre. Non, juste moi ici et juste à côté d'ici. Etrange, oui.
Cela m'a souvent donné l'envie, le besoin, le nécessité de me réfugier dans des bras protecteurs. Rarement trouvés, même lorsqu'ils existaient.

04 - Grenade

04 - Grenade
04 - GrenadeDoo-wops § hooligans. Trois semaines. Je n'écoute plus que ça. C'est une des grandes joies de la cinquantaine : écouter en boucle un Lp dont, a priori, on pourrait penser qu'il est destiné aux adolescentes boutonneuses. Pourtant, c'est du bon ; c'est du lourd. Et le « petit » Bruno Mars, moi j'te l'dis, il ira loin !

Il semblerait qu'il soit aussi associé à F*ck You, interprété par Cee-Lo Green.04 - Grenade
Grenade mais aussi Our first time ou Talking to the moon... Il est là, son talent : je n'ai plus d'âge précis. Juste léger, aérien...

Easy come, easy go
That's just how you live oh
Take, take, take it all
But you never give
Should have known
You were trouble from the first kiss
Had your eyes wide open
Why were they open

Gave you all I had
And you tossed it in the trash
You tossed it in the trash, you did
To give me all your love
Is all I ever asked cause
What you don't understand is

I’d catch a grenade for ya (yeah, yeah, yeah)
Throw my hand on a blade for ya (yeah, yeah, yeah)
I’d jump in front of a train for ya (yeah, yeah , yeah)
You know I'd do anything for ya (yeah, yeah, yeah)
Oh, oh I would go through all this pain
Take a bullet straight through my brain
Yes I would die for ya baby
But you won't do the same
No, no, no, no

Black, black, black and blue
Beat me till I'm numb
Tell the devil I said hey
When you get back to where you're from
Mad woman, bad woman
That's just what you are
Yeah you’ll smile in my face
Then rip the brakes out my car

Gave you all I had
And you tossed it in the trash
You tossed it in the trash, yes you did
To give me all your love
Is all I ever asked cause
What you don't understand is

I’d catch a grenade for ya (yeah, yeah, yeah)
Throw my hand on a blade for ya (yeah, yeah, yeah)
I’d jump in front of a train for ya (yeah, yeah , yeah)
You know I'd do anything for ya (yeah, yeah, yeah)
Oh, oh, I would go through all this pain
Take a bullet straight through my brain
Yes I would die for ya baby
But you won't do the same

If my body was on fire
Ooh you’d watch me burn down in flames
You said you loved me, you're a liar
Cause you never, ever, ever did baby

But darling I’ll still catch a grenade for ya
Throw my hand on a blade for ya (yeah, yeah, yeah)04 - Grenade
I’d jump in front of a train for ya (yeah, yeah , yeah)
You know I'd do anything for ya (yeah, yeah, yeah)
Oh, oh, I would go through all this pain
Take a bullet straight through my brain
Yes I would die for ya baby
But you won't do the same

No, you won’t do the same
You wouldn’t do the same
Ooh you’ll never do the same
No, no, no, no