mardi 31 mai 2011

02 - Fausse logique

La fin d'après-midi de printemps. On remontait, trois copains et moi, une rue qui menait à notre quartier. On rentrait de l'école. On s'amusait beaucoup. On riait fort. Dans cette rue en pente, une usine abandonnée qu'une vieille tôle ondulée, percée, rouillée de toute part, entourait pour en empêcher l'accès. Je crois me souvenir, c'est Pascal qui a commencé le jeu : passer sa tête par une des trouées et crier très fort.
Quand j'ai tourné mon visage vers le haut, je l'ai vue... C'était énorme, tout poilu, tendu à l’extrême. Pas laid mais effrayant. Quand j'ai raconté à ma maman, une fois rentré à la maison, que j'avais vu un monsieur tout nu à l'ancienne usine, elle ne m'a pas cru. Elle ne m'a traité de menteur, non... Juste elle m'a dit de toujours bien réfléchir avant de dire des choses pareilles, aussi graves.
02 - Fausse logique
C'était le premier homme nu que je voyais. J'avais 7 ans et demi. Longtemps je me suis demandé si c'était cet épisode qui avait fait de moi un homo. Il semblerait que non, au vu des analyses tenues bien plus tard, à la faveur d'une longue et salutaire psychothérapie.

samedi 28 mai 2011

08 - wànsui ( 万岁 )


08 - wànsui  ( 万岁 )Changement de traitement depuis une semaine... C'est toujours la panique, au début. D'autant que ça m'est déjà arrivé de frôler la mort, en 2007, à la Noël. Ici, c'était d'autant plus chiant à gérer que mes cd4 baissaient, depuis décembre dernier, régulièrement et que Fa ne parvenait pas à trouver la raison de cette chute inexorable... De 750 copies à 350... Aïe !
Donc, la semaine dernière, Fa a décidé que je devais changer de traitement... La hantise : ça va prendre ou pas ? Quelles réactions secondaires ? Le lendemain matin de la première prise, bingo : diarrhées, vomissements... Mais bon... Il semble que c'est simplement une panique personnelle, pas une réaction médicamenteuse. D'ailleurs, cela ne s'est pas reproduit. Et même, je vais mieux. Je me sens mieux. Fa me joue des partitions merveilleuses mais comment pourraient-elles sonner juste si je ne cesse de voir la Vie que comme une longue descente aux Enfers ?
Wànsui veut dire "longue vie", en Chinois.

(Cette amusante photo n'est pas moi, juste un quidam oriental. Mais j'adore sa moue car elle correspond bien à mon humeur depuis quelques jours...)
08 - wànsui  ( 万岁 )

mercredi 25 mai 2011

07 - 25 juin 1984

25 juin 1984 : mon professeur de faculté de littérature comparée entre dans l'amphi. Comme d'habe, sa Gitane au bec. Pas comme d'habe, par contre, le pas est nettement moins alerte. Sous ses airs bourrus, mon maitre accuse le coup : le sien -- de maitre -- vient de mourir. Peu après, au détour d'un article, j'apprendrai que le génial Michel Foucault était atteint du Sida.

07 - 25 juin 1984

Quasiment 20 ans plus tard, c'est Fa, lors de notre première entrevue, qui me ressort cette anecdote : « Vous savez, Monsieur Chose, il ne faut pas vous arc-bouter sur votre séropositivité au prétexte que vous êtes professeur. Ce virus touche tout le monde, quelque soit sa situation sociale et son niveau intellectuel... Je connais plein de médecins qui en sont atteints, vous savez...et puis... Michel Foucault ! Vous avez su pour lui ? »
Oui, j'avais su pour lui et je me souviennais même que j'avais trouvé ça bizarre : être si profondément intelligent et se choper ce virus si bêtement ! C'était la réflexion que je m'étais faite, à l'époque. Aussi idiote fusse-t-elle, sans doute m'a-t-elle permis d'éviter pendant 15 ans une contamination qui m'eût, alors, été fatale.

mardi 17 mai 2011

07 - Oxygène

Y'a des moments extraordinaires qui vous arrivent, comme ça, sans les rechercher, sans les attendre, à peine les08 - Oxygène espère-t-on. Ce soir, sur France 5, un reportage interrogatif sur la transexualité signé Serge Moati. J'ai regardé et je me suis pris une bouffée d'oxygène euphorisante.
Perso, la question du genre ne s'est jamais posée en ces termes. C'est plutôt la question de l'identité qui m'a donné du fil à retordre. Tout juste si, à l'occasion, il m'arrive de lâcher une expression que j'affectionne particulièrement parce qu'elle provoque en moi un immense éclat de rire nostalgique : "Quand je serai toute vieille comme une pomme ridée..."
08 - OxygèneDans cette émission, c'est la conviction d'avoir fait le meilleur choix possible de certains témoignages, la similitude dans les tatonnements des parcours au moment de l'adolescence, les hésitations à faire voler en éclat les carcans sociaux : c'est tout cela qui m'a oxygéné les neuronnes. La continuelle fragilité avec laquelle je dois vivre. La perpétuelle souffrance, insoupçonnable de l'extérieur, qui nous bétonne nos convictions.
Ce David Lacour est un type bien. Et en plus, c'est un collègue. Chapeau bas.

dimanche 15 mai 2011

08 - Paniques

Décembre 2007 : A quelques mois de notre rencontre, et contrairement à mes habitudes, je décide de ne pas passer les fêtes de Noël en famille : je veux me consacrer à Maki, lequel est devenu ma tour de Pharos. Sans sa lumineuse présence, les ténèbres m'engouffrent. De son côté, Fa a décidé de me changer de trithérapie.

C'est la troisième fois que je change de traitement depuis 2001. L'un était adapté à la maladie opportuniste que j'avais développée en réaction au premier traitement. Le second changement est intervenu car je développais une tendance maladive à la morosité. Ce troisième-là devait logiquement me booster les Cd4 qui stagnaient fâcheusement à 350 copies. Jusque là, le premier mois de tous les nouveaux traitements étaient géniaux (faut bien trouver un côté positif au désespoir) : des modifications chimiques dans le cerveau, dues aux molécules nouvelles, me faisaient bander « H.24 ». L'effet s'estompait au bout d'une vingtaine de jours. Jusque là encore, ce priapisme momentané ne me servait à rien vu que je n'osais plus aborder qui que ce soit. Ici encore, même phénomène accompagné d'une certaine difficulté à trouver ma respiration.

Je pars, je cours, je vole dans le froid et l'hiver rejoindre mon amoureux et ce, malgré le léger problème que j'éprouve à respirer. Il faut dire que je fume beaucoup, que le froid de cet hiver-là est particulièrement vigoureux. Avant d'entreprendre le voyage, j'avais tout de même téléphoné à Fa, un peu inquiet. Une infirmière m'a assuré que ça faisait toujours ça au début du traitement.
Maki m'attend avec impatience. On se connait tout de même depuis peu à l'époque mais assez pour apprécier nos retrouvailles. Le réveillon s'annonce le plus beau de toute ma vie : la veille, je passe les commandes chez le boucher, le boulanger, l'épicier. Je rentre le bois pour la cheminée. Et les premiers signes apparaissent : au début, je mets ça sur le compte du froid, le fait de manquer d'air. Et puis très vite dans la journée du 23, en plus de chercher ma respiration quasi volontairement, j'ai la tête qui tourne, l'estomac se révolte et la fièvre me gagne.

Panique à bord ! Je suis entrain de me voir mourir sous l’œil soupçonneux de Maki : lui, il croit que j'ai décidé de le laisser tomber ! Gentil, aimable plutôt, il me bordera et me veillera dans la nuit du 23.
Arrivé le 22 en fin d'après-midi, je décide de repartir en urgence le 24 au matin. Je trouve la force de rassembler mes bagages, de reconduire Maki chez lui et de refaire les 800 km en sens inverse. Le jour de Noël , j'étais dans une chambre d'observation de l'hôpital Dron. Seul, isolé, abandonné, convaincu d'une mort inéluctable pour la seconde fois en moins de dix ans. Maki, de son côté, m'a déjà enterré.

jeudi 12 mai 2011

07 - Absences

Enfant, lorsque le monde s'écroulait autour de moi, je montais dans un arbre que mes parents avaient dans la propriété. C'était un sapin magnifique. J'y avais une branche très large et accueillante. Je m'y allongeais des après-midis entières, à respirer cette sève si particulière.
Plus tard, un con a décidé de le couper, au prétexte qu'il obstruait une certaine vue. Les Hommes sont souvent très-très bêtes ! J'avais 21 ans mais aucun pouvoir de m'y opposer. Ce jour-là, j'ai été définitivement expulsé de mon enfance.
Aujourd'hui, cela fait cinq jours que mon compagnon est parti chez son fils : son ex-femme, tout comme la mienne d'ailleurs il y a quelques temps, est atteinte d'un cancer du sein. On parle de polypes pour l'instant. Et son fils, de 13 ans, ne peut rester seul. Et sans nouvelles de lui depuis, le monde a tendance à s'écrouler. Je regrette cet arbre où je grimpais.

dimanche 8 mai 2011

06 - Sami le Magnifique

06 - Sami le Magnifique
06 - Sami le MagnifiqueJe suis pas du genre idôlatre, je pense l'avoir bien fait comprendre mais quand on croise le chemin d'une personne qui vous fait vivre des choses rares, il faut reconnaitre à cet être humain des qualités divines. Alain Delon, jeune, a dû faire cet effet-là à pas mal de gens.
Et à mes yeux et dans ce feuilleton (Signature, diffusée par France 2), Sami Bouajila incarne, par la sauvagerie de son regard, l'exact moment d'une vie où tout bascule. Cet instant précis dans lequel tout être humain perçoit ce malaise inhérent à la Vie. Cette limite quelquefois atteinte avec l'animal. Bouajila incarne à merveille cette animalité-là. Un excellent acteur au talent et à la délicatesse rares.

vendredi 6 mai 2011

06 - Drôle réponse

Un acte sexuel peut-il constituer une réponse ? Ou est-ce qu'un acte sexuel n'est qu'une réaction face à une situation de laquelle les individus doivent s'extirper ? En cette fin d'après-midi de la Toussaint 2007, Maki a décidé de me donner enfin sa réponse.
Depuis notre « discussion » sur le parking face à l'océan, nous ne nous étions pas revus, préférant nous laisser absorber par le travail et les obligations familiales. Un silence trahissant fort mal une inquiétude intérieure. Animaux blessés, nous étions attentifs au monde environnant, supposé hostile du fait de notre affaiblissement. Aux aguets.




« Tu fais quoi cet après-midi ?
« Rien, tu sais bien. Ma mère va rendre visite à une cousine. Je vais la conduire.
« Viens me chercher après. A 17h00. »
Sur ce ton-là, aucune réplique possible.



p06A 17h30, nous entrons dans la maison. C'est celle de notre première nuit mais elle n'a déjà plus la même atmosphère. On dirait que des siècles se sont écoulés. La lumière n'est plus aussi éclatante, les odeurs sont plus froides. Bien qu'absente, ma mère pèse sur les lieux.
Maki ne peut ressentir cela. Et comme il a accepté un verre, je vais à la cuisine le lui servir. L'atmosphère était d'autant plus pesante que nous n'échangions que des amabilités d'usage qui entrecoupaient un incommensurable silence.
Cela m'a surpris de le sentir arriver dans mon dos. Je me suis laissé enlacer. Ses mains ont fini par dégrafer les boutons de la braguette de mon jean. Elles se sont accrochées aux deux pans du tissu. Il s'est mis à genoux. J'ai pivoté pour lui faire face.


p07












Il s'est caressé les joues avec mon sexe puis l'a avalé. Drôle de réponse.





mercredi 4 mai 2011

05 - Révélation (partie2)

Sur le coup, il a pas trop compris ce que cet adjectif signifie. Ou il a fait semblant de pas vouloir comprendre.Au bout de plusieurs communications texto, nous avons convenu d'attendre de nous revoir pour en parler plus sérieusement.
Cinq semaines plus tard, j'ai pris un long week-end et je suis descendu sur Saint-Nazaire. Je n'avais que quatre jours de vacances. Le second jour, on s'est revu sur un parking désert, face à l'océan. Il m'a posé une simple question : « Tu savais que tu étais séropo quand on s'est rencontré à Pâques ? » Et je n'ai pu répondre que non...en ajoutant toutefois que je me doutais de quelque chose, ce qui explique mon insistance à vouloir mettre un préservatif... Sa réaction à ma longue réponse fut un simple :  « Bon. » Posé. Calme. Serein. J'étais dans le même état, bizarrement, pas du tout stressé. On ne s'est pas revu du week-end. Il a prétexté je-ne-sais-plus quelle obligation familiale, comme quoi un cousin de Paris débarquait chez lui à l'improviste. Bref, le motif bidon mais je ne pouvais pas lui en vouloir. J'attendais et je savais qu'il avait besoin de temps pour réfléchir sa réponse.
Quinze ans avant, j'avais pris mes jambes à mon cou. Lui au moins était resté calme. Cela me laissait un petit espoir, après tout. Il lui a fallu deux mois pour m'apporter une réponse...

mardi 3 mai 2011

04 - Révélation (partie 1)

Ce n'est qu'à la fin des vacances d'été que je me suis résolu à mettre en œuvre une idée très particulière. Très particulière parce que je n'apprécie guère ce genre de procédé. Mais en l'occurrence, je n'avais pas le choix : ce premier été ensemble a plus que confirmé mon attachement envers Maki et vraiment, j'en arrivais au point de pleurer rien qu'à la simple évocation d'une séparation.


Mais cette idée a germé dans mon esprit un peu à cause de Maki lui-même : à plusieurs reprises, au cours de nuits torrides, il avait tenté de ne pas me faire enfiler de préservatifs. Ce que je m'étais, bien entendu, obstiné à refuser, connaissant les risques éventuels que je lui aurais fait encourir. Aussi, lassé mais profitant de son insistance, je lui ai dit : ok, je rentre à Maubeuge et je fais une analyse et si elle est négative, on supprimera les capotes.
Une fois rentré, j'ai laissé passer 15 jours et je lui ai envoyé un sms : « Et merde : je suis séropo ».

dimanche 1 mai 2011

03 - Je t'aime...moi non plus.

« M'en parle pas ! C'est le truc que je crains le plus : tu me dirais que tu l'as, je m’enfuirais à toutes jambes, là tout de suite. » Ce jour-là, trois jours après notre première rencontre, je m'étais décidé à lui parler de mon mogwaï. Je voulais absolument éviter l'erreur que Bruno avait commise à mon égard (cf. article 03-mytho* in Mogwaï) et qui m'avait fait fuir à toutes jambes. J'ai donc embrayé sur cette conversation et au moment qui m'est apparu le plus opportun, voilà qu'il me balance cette phrase : «  tu me dirais que tu l'as, je m’enfuirais à toutes jambes, là tout de suite. »
J'ai fait quoi ? J'ai senti mon cœur se pétrifier. Mes poumons se sont desséchés. Mon visage est parvenu à rester impassible. C'est une chose qu'ait parvenu à m'enseigner Fa : le seul mot de Sida rend aveugle...


J'ai donc poursuivi la conversation aussi normalement que possible. J'avais envie de pleurer : d'avoir touché d'aussi près l'Amour de ma vie et devoir Le fuir si vite... Ces vacances de Pâques se sont ensuite déroulées « normalement » si ce n'est que je n'ai cessé de me demander comment ré-aborder le sujet avec succès... J'ai pas trouvé sur le moment.