mercredi 31 août 2011

28 - Hiver 94 (partie 1/3) : Commencer

Un drôle d'envol, en vérité. Le 02 janvier 94, un appartement se libère dans un quartier périphérique de Maubeuge. Soucieux de ne rien devoir, j'ai tout laissé. Repartir de zéro. Et pour ajouter une difficulté à celles du quotidien, Doudou fait le forcing. Il n'aime que moi. Veut vivre avec moi. Il me fera le ménage, les poussières, les courses, la cuisine, l'amour aussi... Comme à son habitude, Doudou tente de forcer le destin. C'est dans sa nature, personne ne parviendra à l'en dissuader. Malgré tout, je renonce à cette vie-là de couple trop bien réglée à mon goût. J'ai 33 ans et le cours des choses me donne enfin une chance de construire LA vie tant rêvée. Pas question de m'enferrer dans une routine plan-plan.
 
Au début, la nouveauté me tient chaud. Tout est neuf : le matelas, les draps, les couverts, la cuisinière, la télé, les nuits, les réveils et le téléphone. Le quartier se quadrille en bandes plus ou moins spécialisées : qui la drogue, qui les trafics en tout genre. Un quartier de périphérie, quoi ! Mais je m'entends bien avec tout le monde. Beaucoup me connaissent.
L'hiver s'installe peu à peu. Les amants se raréfient. Toujours rester discret. Ne pas effrayer ni les petites frappes qui ronronnent dans les entrées ni les ouvriers au chômage qui somnolent devant leur télé.

mardi 30 août 2011

19 - The farewell symphony

Arpenté, le monde, quarante-quatre ans durant. Y errer, y observer, curieux. Y guetter, y espérer, anxieux. Chaque lecture fondamentale a été une façon de m'orienter à travers ce dédale infernal. Chaque auteur découvert a été un géniteur. Je suis le monstrueux enfant d'une bête infernale aux multiples visages : Proust, Genet, Camus, Sartre, Malraux, Gide, Joyce, Duras, Mishima, Vallès, Céline... Tous ceux-là sont mes pères putatifs. Et cette fantasmagorie, je la croyais enfin enfouie dans un lointain passé.
Juin 2004, je tourne la dernière page de La Symphonie des adieux...en larmes. La féerie vient de se rouvrir en une plaie béante. Et une nouvelle figure paternelle vient de se greffer à l'hydre. De cette lecture, cesser d'arpenter le monde, un peu plus rassuré. D'y errer, moins curieux, un peu plus rassasié. D'y guetter, un peu plus apaisé.

20 - The farewell symphony



Un grand merci à Edmund White de m'avoir transmis cette photo de lui. Je vous aime.
De ce "roman autobiographique", je me suis rué calmement sur les autres titres. Et parfois, au détour d'une page, d'une autre, la même émotion raz-de-maresque. Son Genet est un incontournable depuis 93.
20 - The farewell symphony
Je ne peux résister à joindre cette autre photo de l'auteur, glanée sur le net. J'espère qu'elle ne le décevra pas. Pardon à ceux qui ont eu accès à cet article en date du 29 août et que j'ai retiré car vraiment trop mauvais.

lundi 29 août 2011

27 - 翱 s'envoler

27 - 翱 s'envoler2H était un ami issu des années d'internat. Un frère donc. Le premier à percevoir mon homosexualité et à 27 - 翱 s'envolerl'accepter sans pour autant en profiter. Souvent, nous prenions nos douches ensemble en toute quiétude. C'est juste après le baccalauréat que nos trajets ont bifurqué : moi à Lille, lui à Strasbourg. Le rejoindre ? A quoi bon ? Bien plus tard, en de tristes occasions, nous sommes nous revus. Là, en 1993, il venait de me claquer une porte au nez et provoquer ainsi une sérieuse désorientation.


27 - 翱 s'envoler
Malgré les menaces (du style « Pas question que mes enfants aient un père pédé ! » ou « Si tu pars, tu ne les verras plus. »), j'ai osé consulter un avocat, engager une procédure de divorce. Hiver 93. Un départ au débotté, presque. Un envol d'albatros.
Partir, prendre son envol, s'envoler. [ào] en chinois 27 - 翱 s'envoler

samedi 27 août 2011

26 - Me and Mr Jones

26 - Me and Mr Jones
Le choix de vie différente s'est lentement imposé. Peu à peu, après cet échouement d'octobre 93, il fallait absolument décider d'une voie. D'abord, ne plus écouter Supertramp en boucle, parvenir absolument à se détacher du souvenir hallucinant de Che-Nen. C'est celui-là, débarqué de Londres mais découvert à Paris, qui s'est chargé de ce lourd travail. C'était un samedi soir de juin. Il faisait chaud. Et sa beauté noire éblouissante m'a calmement arraché de la torpeur malsaine qui me noyait inexorablement depuis 1992... Hypnotisé. La salle était ridiculement petite (par rapport aux endroits dans lesquels il s'est produit par la suite) et il n'y avait pas foule. Placé juste devant lui, à quelques mètres de la scène, assourdi et fasciné, mon regard ne cessait de balayer ce manche de guitare parcouru par ses doigts miraculeux. Parfois, Mr Jones ouvrait les yeux et les plantait dans mon regard et me disait alors de le rejoindre. Je ne me suis pas fait prier : j'ai plongé dans cet océan d'eau fraîche et bleue de mélodies blues.

"Chance : I'd like to see spring26 - Me and Mr Jones
When will you be with me ?
Destiny : Why should you care ?
Chance : Madness
Destiny : Why do you ask ?
Chance : This sadness kills
Destiny : You're lyin !
You're lyin !
You're lyin !
You're lyin !
Narrator : Moments, dreams and reasons
Moments + dreams make love
Come in season
Yeah seasons !
Chance : Where do we go from here ?
These lonely roads
I fear
Destiny : Wipe your tears
Don't you worry
I'll always be here
For you"
Extrait de Where's life ? par Keziah Jones.
26 - Me and Mr Jones
Sans doute l'un des plus beaux titres du guitariste nigérian. Je suis allé le voir en 1995 ou 96 (je ne sais plus) en concert à Maubeuge. Et je me souviens de toute cette sèche, méticuleuse, harmonieuse et rêche silhouette qui se cachait derrière sa guitare.
Ce morceau littéralement envoûtant, m'a accompagné des années durant dans les moments difficiles de cette vie chaotique de l'après-Che-Nen.
Thanks you, Mr Jones.

mercredi 24 août 2011

18 - Erich juillet 81


 19 - Erich juillet 81
17 juillet 81. La matinée est bien avancée lorsque j'émerge enfin de la nuit. Sur la table du petit-déjeuner, une feuille où je lis ce poème.
Accablé par un sommeil profond, je ne l'ai pas entendu quitter le lit. Ni la chambre. Ni la maison. Ni ma vie. Il s'est évadé de mon cœur aussi discrètement qu'il y était entré bruyamment.


Un ami
"Que c'est beau de voir un ami                                               Voir un ami pleurer,
Se reposer à ses côtés                                                             C'est comme entendre chanter la Mort
Sans bouger, sans parler,                                                         Juste à ses pieds,
Comme le fait la nuit,                                                              Narguant le reste de vie qui peut
Bercé par le vent du Nord                                                       Subsister en cet être transi par la tristesse
Qui n'amène que la Mort                                                         Qui n'est que langueur au fond d'un cœur
Car le Nord n'est que le froid                                                  Trop serré, trop asséché
Et le froid ! N'est-il pas Mort,                                                 Par le monde qui ne peut comprendre
Mort dans le cœur, mort dans le corps.                                   Un homme qui recherche l'amour
-----------                                                                                  Au fond de l'Amour ."
19 - Erich juillet 81
Erich. Américain d'origine, il en avait toutes les richesses et toutes les lourdeurs aussi. Son mètre quatre-vingt-quinze, le visage volontaire – parfois buté – une carcasse de rugbyman, faisait de lui un adolescent de 17 ans un peu gauche. Il adorait lutter, les hamburgers, Miami (où vivait son père), Count Basie, le Coca-Cola. Une vraie image d'Epinal !


19 - Erich juillet 81

Une pièce d'un demi-dollar – à l'effigie de J.F.K. – empêchait les courants d'air d'emporter cette feuille. Elle était posée sur sa signature -- E. L. -- au bas droit de la page.

19 - Erich juillet 81

Malgré de multiples démarches, il n'a plus jamais répondu. Ni à mes coups de fil, ni à mes lettres passionnées, ni à mes coups de sonnette à sa porte nazairienne. De cet abandon, en moi a germé peu à peu l'idée d'une non-valeur. Les miroirs ne renvoyaient plus aucune image. J'étais seul, nu, recroquevillé sur un petit caillou au milieu de rien.

mardi 23 août 2011

12 - Ravissement

- «  Bonjour monsieur Machin ! »17 - Ravissement
Ah, ce style d'interpellation, je connais : nul doute, un ancien élève. Le plus agréable, à cet instant – au moment même de se retourner – est de coordonner le son entendu avec un souvenir, avec une image, un visage aussi familier que la voix. C'est comme un plongeon.
Le monsieur que je dévisage rapidement m'est inconnu. Seul l'air amical qu'il affiche me dit qu'il est sympathique. Et l'a été, si c'est bien un ancien élève. Du coup, je le joue franc-jeu :
- « Désolé... J'ai pas la mémoire des noms...mais puisque tu sembles avoir passé la trentaine, je pense que tu peux me tutoyer ? »
Il a tenté le truc de la devinette mais, face à mon impatience, a vite laissé tomber : « C'est moi ! Nouredine ! Nouredine S...... » Je tombe des nues ! Lorsqu'il était mon élève, dans les années 90, le petit Nouredine était un ado un peu chétif, pas sûr de lui et incertain de son avenir. Là, devant moi, s'étale un homme à la trentaine assurée, dégarni, ventru, élégamment habillé avec simplicité, l'air posé et serein.
C'est qu'il en a vu des choses, en quinze ans. Il a fait carrière à l'internationale (pas le droit ici de dire dans quoi mais c'est super bien). Il a côtoyé de grands noms. Il en a chié des ronds de chapeau pour y arriver. Muet, j'observe son regard tout en lui prêtant une oreille attentive. Et je retrouve le petit Nouredine que j'ai connu et apprécié : ses yeux pétillants comme ceux d'un gueux devant une vitrine de Noël d'un grand magasin. Sauf que là, il a osé passer le seuil et a quasiment déjà acheté toute la vitrine...
17 - RavissementNous nous sommes engouffrés tous deux dans ce tunnel temporel en discutant sans voir le temps passer, heureux de nous être revus l'un l'autre. J'étais rentré dans ce supermarché à 18h00. J'en suis ressorti à 20h00 en affichant un sourire béat. Heureux. Simplement heureux de voir le parcours d'une vie humaine réussi. Merci Nouredine.

 
(Précision : ni le prénom ni les initiales ne correspondent à sa vraie identité. Trop de respect envers lui m'impose cet anonymat.)

dimanche 21 août 2011

17 - Apprentissages


18 - ApprentissagesMon corps poussé par la chaleur de ces derniers jours sous d'abondantes frondaisons. A trente-cinq années d'écart, mes pas assoiffés d'ombre m'ont conduit hier vers un endroit que je pensais enfoui au plus profond de ma mémoire.
C'est là, sur ce blockhaus désaffecté, que m'emmenait Thierry. Il avait 17 ans et avait échappé à l'internat depuis belle lurette, le veinard ! Et l'été, nos vélos agiles nous emportaient au cœur de cette forêt... On se déshabillait. Isolés du monde, nus  parmi les arbres bienveillants, il m’apprenait les jeux du sexe. J'étais un élève doué, me disait-il, malgré mes 14 ans.18 - Apprentissages
La douleur, le plaisir, le jouissance, il me les a enseignés. Cela n'a en rien formaté ma sexualité car je n'ai aucun goût pour le s-m. Mais j'aimais Thierry. Son sexe lourd et immense m'impressionnait au plus haut point. Même à ses genoux, le nez collé dessus, il me faisait fantasmer.
18 - Apprentissages

vendredi 19 août 2011

11 - 苦楚 (kǔ chǔ) et 指望 (zhǐ wang)

 
11 - 苦楚 (kǔ chǔ) et 指望 (zhǐ wang)
 
 
kǔ chǔ

J'ai écourté ces vacances 2011 par obligation : dans quelques jours, Fa finalisera le changement de traitement initié fin mai [ cf. 08 - wànsui () dans la rubrique Mogwaï ]. L'objectif est de n'avoir qu'une seule prise d'un seul cachet par jour.
Dix ans d'enfer – et plusieurs tentatives de réorientation de thérapie – m'ont appris à rester calme face au changement. Et surtout à faire aveuglement confiance en Fa. Mais pour être vraiment honnête envers moi-même, je dois avouer que mes nuits s'agitent de plus en plus.
Ceci dit, si cette nouvelle trithérapie fonctionne sur moi, j'aurais – en dix ans – parcouru un chemin exactement inverse à ce que j'envisageais alors. De la détresse ( kǔ chǔ ) à l'espoir ( zhǐ wang).

11 - 苦楚 (kǔ chǔ) et 指望 (zhǐ wang)  zhǐ wang

04 - sài ( 赛)

Dur. Très difficile de se voir, savoir, concevoir seul au quotidien.

L'absence de Maki -- depuis quelques jours -- est si cruelle que vivre me semble être une compétition. Tenter de survivre. Se lever le matin est aussi miraculeux que d'avoir trouvé le sommeil la veille.
Chaque journée est une course pénible, esquintante, harassante, usante. Je n'aime pas me battre contre mes fantômes.


 
 
Ce qui me sauve : la rage que je parviens à développer tel un Teddy Riner. La compétition, sài ( 赛) en Chinois.