mercredi 30 novembre 2011

46 – Ruptures – Go West (partie 2/3)



Maubeuge, résidence Machintruc, samedi 14 avril 2007, 02h00 du matin. Le réveil sonne. Les bagages sont prêts. Du café, une toilette rapide : direction la Bretagne pour des vacances de Pâques bien méritées. Personne ne m'y attend. Libre depuis quelques mois, partir à pas d'heure est un plaisir infini. La nuit, les routes silencieuses, désertes et méconnaissables, j'adore !
Parti à 03h00, le trajet se déroulera sans encombres. Mes premières vraies vacances en célibataire depuis 1985 ! Je-fais-ce-que-je-veux ! Je flâne. J'emprunte des itinéraires au hasard. Une impression de liberté. Défricher des plaines immenses, désertes et nues. Arrivé sur les 16h00, un peu fatigué.
Le soir même, chacun à un bout de la planète, nous tentons de récupérer de notre périple. Che-Nen, je ne sais pas comment. Moi, par une douche bienfaitrice. Un peu plus tard dans la soirée, je me laverai la tête de toutes ces conneries qui m'assaillent les neurones, mon cul offert aux plus dégourdis.
Ce samedi 14 avril 2007, Che-Nen fêtait ses 33 ans. Moi, une défaite de 22 ans. Il s'exilait volontaire à l'autre bout du monde. Je rencontrais Maki par hasard.

lundi 28 novembre 2011

45 - Ruptures - Go East (partie 1/3)



Frankfurt/Main International Airport, samedi 14 avril 2007, 01h00 du matin. Che-Nen boucle sa ceinture. Un dernier coup d’œil machinal, distrait, à travers le hublot, n'y rien apercevoir vraiment. L'avion glisse en bout de piste, s'ébranle, se raidit, quitte le tarmac. Dans dix heures, atterrissage à Haneda. Vers 23h00, Incheon. A cause des embouteillages, quatre heures pour rejoindre Daejeon. Dix jours en France l'ont rendu un peu lent, lourd, mélancolique.




Durant le vol, la compagnie, lui offrira bien une bouteille de champagne pour fêter ce 33ième anniversaire d'un client fidèle. Les bulles, ni même le repas, ne parviendront pas à éponger cette nostalgie qui lui enserre la poitrine. 33 ans ? La belle affaire !





Il part pour longtemps. Pour une multinationale. Un travail d'ingénieur. Beaucoup d'argent à la clé. Mais ces perspectives d'une carrière internationale le laissent de marbre. Ces yeux noisette sont assombris par de vagues souvenirs. Quittant l’Europe, un peu de sa jeunesse s'éloigne. Dans son esprit, aucun mot ne formule ce soucis. Trop d'émotion souvent étouffe les notions. Son regard noir, seul, laisse transparaitre cette indicible angoisse.

dimanche 27 novembre 2011

21 - Banal moral


22 – Banal moralYopé est vraiment un mec génial. Les quelques mots échangés ce soir. Les confidences chuchotées. Les ragots papotés. Les vannes balancées. Le banal balayé ! Le moral remonté ! La vie est belle quand elle s'éclaire de ces mots-là émis entr'amis.
Je l'aime comme mon petit frère. Je suis fils unique, t'es sûr ? Alors je me l'invente, le gamin. Et avec lui, ma famille. Une construction libre, choisie et tellement plus belle ! Merci Yopé pour cette succulente soirée.

22 – Banal moral

vendredi 25 novembre 2011

44 - "Je t'aime"



Ce 30 décembre 1991. La chose accomplie, Che-Nen se relève, remonte son pantalon, s'essuie les lèvres d'un revers de la manche et me sourit. Ses petits yeux noisettes se plantent dans les miens – bleus et déjà vides de son image. 
Comme souvent en ces cas-là, après l'acte, ils repartent, silencieusement, discrètement, honteusement. Je m'apprêtais donc à lui voir le dos rond sous le manteau, ses traces de pas dans la neige comme seules preuves de sa présence.








Comme je reboutonnais ma braguette, je perçus une lueur dans son regard. Un léger frémissement des narines aussi. Ses lèvres, et les muscles autour, se mirent en mouvement. Des sons s'entendent. Du sens chemine en même temps que ces sons courts, brefs et quasiment inaudibles. Des mots que j'attends depuis trente longues années. Trois. Les plus simples. Les plus rares.

43 - Guanahani



Quels mots exacts murmurés à l'oreille ? Le souvenir devient coquet avec le temps, refuse de se livrer sans effort. Seuls restent des sons, des odeurs. Une sensation inouïe aussi.
Les narines pincées par le froid. Quatre coups du carillon viennent colorer la blancheur du brouillard. L'église toute proche rythmait ainsi les lieux de drague de Maubeuge. Sa joue réchauffe mal la mienne. Des mains précipitées confondent boutons et couture. Sa bouche entrouverte exhale une vapeur un peu grise, tiède. L'odeur de tabac froid se mélange aux urines inconnues. Enfin, ses doigts gourds glissent sur la peau fragile de mon sexe.
Cette année 1991 toute proche, peut bien arriver ! A cet instant précis, elle sera forcément belle malgré le quotidien. Grandiose en dépit de mon métier. Libératrice malgré la trentaine qui s'amorce. Che-Nen, à mes pieds, est entrain de construire un monde nouveau. Le Paradis, pensait Colomb, foulant la première fois la plage de Guanahani, un 12 octobre 1492. 

jeudi 24 novembre 2011

20 – A chacun son Freddie !



Le mien, c'est une interview dans Rock § Folk, avril 1978.
Une voix. Un corps. Une présence. Depuis cette "rencontre", nous ne nous sommes plus vraiment quittés. Du haut de mes 17 ans, il a été l'une des premières instances d'un paysage jusque là inconnu. S'y promener me désorientait délicieusement. Une certaine façon de vivre, différente, autre. Se construire une identité au sein même de l'altérité. Plus tard, certains d'entre eux -- dont lui -- auront pour lourd fardeau d'illustrer la maladie. La rendre publique, moins honteuse, plus acceptable.
Ce 24 novembre 91, pas de surprise, juste une très grande peine. Une pierre venait de se teindre en noir. D'autres suivront, hélas.





Farrokh Bulsara (5 sept 1946-24 nov 1991)

mardi 22 novembre 2011

42 - Traces (partie 2/2)


Faites-moi confiance : vous ne le voyez pas mais son regard mutin fixe l'objectif dans une interrogation complice. Les lèvres pincées cachent mal un sourire retenu. Nul doute il éclatera juste après le cliché. Avec le photographe ? Le léger évasement, à la base des narines, lui est naturel. Cela lui  amplifie l'espièglerie du visage. La peau, encore grêlée – elle le sera toujours désormais – se teinte d'une ombre ça et là, de part et d'autre des lèvres. Sinon, Che-Nen est imberbe.
La main effleure la joue dans une coquetterie rare que je lui connais bien. Déjà adolescent, il la cultivait méticuleusement. Ses cheveux courts, noirs de jais, accentuent les angles de ses joues lisses. Un peu de rouge – reflets du pull-over ou lumière artificielle de la photo ? – lui colore les bords des yeux, le lobe de l'oreille. Le teint subtilement cuivré souligne le marron des iris. Le même regard que son père.
Beau ? Non. Depuis 1991, son absence physique ne provoque plus le malaise. C'est son élégance, assurément, qui me manque. Qui, de l'autre côté, lui a tant promis qu'il s'est ainsi livré à l'objectif ? Un inconnu pour moi. Qui pourtant me tire des larmes de jalousie.

dimanche 20 novembre 2011

41 - Traces (partie 1/2)




La nuit écrasait peu à peu les Hommes. J'étais de ceux-là, fuyant leurs cauchemars. Mes bruits assourdis frappaient des images tremblotantes. La journée ne m'avait laissé dans les yeux que mes sandales sur le plancher, posées ce matin dans une hâte ordonnée.

Peut-être me suis-je endormi durant le trajet ? Le thé qui a provoqué ce drôle de sommeil agité, turbulent ? Des bribes de cette vie infernale me lacéraient la mémoire. Des traces indélébiles, prenantes, asphyxiantes. A vive allure, le Shinkansen fuyait Tokyo, en vain, vers Osaka.
Che-Nen encore, toujours, à jamais. Indélébile. Prenant. Asphyxiant. Le chercher, le trouver. Que la peur de l'avoir un jour croisé s'évapore. De Maubeuge à Daegeon. Itinéraire improbable, impensable, inconcevable. Toujours la même angoisse du départ. Arpenter le monde, mesurer les écarts entre nos deux personnes. Savoir un jour enfin pourquoi il a fui ? Le chercher, silencieux désormais puisqu'il efface ses traces. Inlassablement, fouiller cette Asie dans ses moindres recoins, expurger le plus infime lambeau des souvenirs, scruter la plus obscure des pages du Web.







Hier sur le Web, cette photo de Che Nen prise en 2008. Il me manque.

samedi 19 novembre 2011

15 - Prédiction funeste


15 – Prédiction funeste« Je te souhaite de l'attraper un jour  ! » Le ton, sec, méchant, de Bruno se veut vexatoire. En ce mois de janvier 1993, il tente par tous les moyens de recoller notre couple. Là, il m'a suivi de loin en cette fin d'après-midi jusque dans ce tunnel où je me suis engouffré avec une silhouette trentenaire, élancée, prometteuse.
15 – Prédiction funesteLe pantalon sur les chevilles, mes fesses tendues à son désir, je dois prendre appui sur la paroi pour ne pas m'affaler sous ses coups de rein. Des ombres passent devant l'entrée, presque inconnues. Craintives, aucune n'osent se joindre à notre joute sexuelle. Parmi elles, celle plus familière de Bruno, en colère. En colère et en vie pour encore cinq années, saura-t-on plus tard.
Sur le moment, cette invective me choque. Peu habitué à ce qu'on m'aime, je connaissais mal les capacités morbides des amoureux éconduits. Souvent j'entends encore ces mots, le ton cruel qui n'était que le signe désespéré d'un amour perdu. Ma mémoire me les ressert à l'occasion, lorsque je perçois dans mon miroir le mogwaï. Tant de sauvagerie me laisse pantois, encore aujourd'hui.
15 – Prédiction funeste

jeudi 17 novembre 2011

07 - Carence


Plus qu'un défaut, une déficience. Farid absent de moi désormais ? Des réflexes ancestraux se mettent en place : un corps encombrant puisque répudié, des gestes lourds puisque mécaniques. Des plages de silence dans la tête viennent combler une incapacité totale à penser et m'isolent de tous. Je dois paraitre odieux à certains mais je ne sais pas autrement faire.


A l'abri derrière les volets clos, mon poignet se casse un peu vers l'extérieur. Ou mon bras gauche, d'un mouvement ample, trace un cercle imaginaire. Parfois, ma hanche gauche se déboite légèrement :
de vouloir échapper à cet isolement me pousse à des envolées un peu féminines. Rien de grave, personne ne me voit, je crois. Peut-être est-ce pour cela que les journées me fatiguent tant : elles m'obligent à une discipline de fer pour ne pas laisser transparaitre la moindre folie libératrice pourtant.


 
 
 
La période de carence sera passagère, à n'en pas douter mais pénible à subir. Les autres ne comprennent que très mal – ou pas du tout – cette cyclothymie. Le pire sont les efforts à-venir que je sais devoir bientôt fournir : pas inquiéter les autres qui me sont chers : mes enfants, Yopé...quelques autres, satellites. Seul Maki échappe miraculeusement à ce jeu de massacre involontaire.



mardi 15 novembre 2011

06 - Patatras !


06 – Patatras !On dit quoi dans ces cas-là ? J'ai jamais su. Personne m'a appris. Chaque fois, la même surprise vite dépassée par une douleur aigüe, stridente, vive, incisive. Une de ces douleurs, incompréhensible, violente, effrayante. Coléreux bruit de porte, impulsif et brutal.
06 – Patatras !
Ingrat ? Disgracieux ? Monstrueux ? Je suis qui, ainsi lâché, abandonné, perdu ? Quoi ? Plus rien. Le néant incarné. Sur le coup, un seul mot me vient : « Ouf ». Et puis, le bruit de la méchanceté passé, les yeux se brouillent et on sent bien cette douleur lointaine, enfantine, maternelle qui remonte, perce la cage thoracique, bloque la respiration.
Farid ne veut plus me voir. Sans raison. Et merde !
06 – Patatras !

dimanche 13 novembre 2011

40 - (se) fondre [partie 2/2]


Mois de décembre 2000, un samedi. La neige sale se mélange à de la boue. En cette fin d'après-midi – torse nu, pantalon baissé – malgré le froid glacial, je suis à genou au pied d'un garçon à la queue affolante. Durant ces ébats, un léger bruit tinte : lui pense à un objet tombé de ma poche ; moi je penche pour un mateur caché. Il avait raison : revenu à la voiture, je m'aperçois avoir perdu mon alliance ! Mes doigts sont tellement amaigris que la bague a tout simplement glissé sans que je m'en rende compte. Même cela ne m'a pas inquiété !


Avril 2001, je pèse 61 kilos (au lieu de 75). Mes joues se sont creusées. Des vertiges m'assaillent tout au long de la journée. Mes pantalons s'enlèvent sans déboutonner. Même mes chaussures sont devenues trop larges : elles flottent. J'attrape des ampoules !
Une mycose envahissante aux orteils, aux oreilles. La langue chargée. Un œil qui gratte, gonflé. Un appétit d'oiseau. Je bois beaucoup, dors peu. Une écorchure ne parvient pas à guérir. Et même, la blessure s'infecte spectaculairement. Une première batterie d'analyses : chute libre des globules blancs... Mon médecin pâlit : l'idée d'un potentiel cancer qui se profile ne me pousse même pas à la panique ! A la fin de la liste qui compose sa seconde ordonnance, il me demande s'il faut contrôler le H.I.V. Je lui réponds calmement ne pas en voir l'utilité mais bon, pourquoi pas tant qu'on y est... Aveugle et sourd jusqu'au bout !

samedi 12 novembre 2011

39 - (se) fondre [partie 1/2]


Une seule envie, un unique besoin : ne plus être distingué. Exister mais sans que qui que ce soit ne connaisse mon existence. Me confondre dans les autres : que les autres me confondent ! Couler dans la masse : qu'elle m'incorpore, me digère ! Être pétrifié sur une pierre. Ecorché dans l'écorce d'un arbre.
Atteint par le mogwaï, le mogwaï m'éteint. Mes forces s'amenuisent. Littéralement, je péris du monde, je m'évanouis dans le décor. Trois années durant, décliner, péricliter, (se) fondre peu à peu. Dix ans après que Che-Nen, tel un scalpel, ait déchiré ma vie, elle s'épluche en lambeaux telle une existence inconsistante.

jeudi 10 novembre 2011

38 – (se) perdre 38






Alourdi, je m'affaisse. Tant de mains amicales se tendent. Ou amoureuses, sincères ou pas. Ne pas les saisir puisque perçues comme tueuses. Combien n'ont pas su stopper cette inéluctable chute ? Che-Nen aurait su, j'en suis sûr. Pascal avant lui aussi. Pierre-Marie également. Mais aussi Thierry voire Joël. Mais ils sont où, alors ? Loin. Oublieux. Enfouis dans un passé que je suis alors certain de n'avoir jamais vécu.
Je passais mon chemin, loin et sourd, dédaigneux puisque perdu. Sans vraiment savoir quelle direction prendre. Rien ne m'attirait que la promesse d'une douleur plus forte que la précédente. Pourquoi rêver d'un monde meilleur s'il vous a convaincu de sa brutalité ? Errer à sa surface. Arpenter les domaines les plus improbables. Sentir poindre du tréfonds de soi une douleur néanmoins inconnue jusque là. Et qui vaguement intrigue.
Début 2001, le corps peu à peu s'est ralenti, affaibli, amaigri. Même ce discours-là, j'ai tardé à l'entendre.

samedi 5 novembre 2011

12 - Libre

lit3« Qui ça "il" ? » La question se pose. S'impose même. Maki confond toujours les genres. Incapable de se rentrer dans le crâne l'existence du genre féminin, toutes ses phrases parlent de « il » ou de « ils » même lorsqu'elles évoquent une femme ! Exotique au début de notre relation, compliqué ensuite. Aujourd'hui, je me suis habitué et cette indétermination ne me pose plus vraiment de problèmes.


Le corriger reviendrait à lui faire perdre ce charme fou qu'il distille involontairement dans ses conversations. Un peu comme si on ôtait à Jane Birkin la droit de user de cet anglais accent qui le colle à le peau et nous décoche une sourire bienveillante. Il perdrait de son charme mais plus encore... Il y a deux ans, lui faisant remarquer ce mélange des genres, sa réponse a fusé : « Et il existe quoi d'autre que les mecs ? ». Simple. Efficace. Sans appel.
Quitter sa terre natale ? Traverser le continent noir ? Oublier quarante années ? Juste pour vivre son homosexualité ? Non ! Pour harmoniser sa pensée avec le monde, mettre en adéquation sa vision du monde et la réalité quotidienne. Juste pour avoir le droit de goûter un peu de cette eau précieuse qu'est la liberté d'être soi. Et cela me semble en être une définition acceptable.
boire