mercredi 29 février 2012

05 – Certitude

enfant

Enfant, redevable à chacun de toute chose, de longs silences me dissimulaient. Stupéfait, interdit, tétanisé, l'enfant – contemplatif – ne savait jamais comment remercier tant de bonté.


chiPrès de quarante années séparent cet enfant de moi. Plus rien ne m'est offert depuis longtemps. Se réfugier derrière des choses rassurantes : des convictions, des revendications, des conceptions. Mais aussi cette apparente virilité confortée par ces regards envieux.


La féroce certitude que rien désormais ne pourra plus m'atteindre. Ni les aléas blessants du quotidien. Ni ce coucher de soleil angoissant. Isoler l'enfant de cette puante réalité d'adultes.

16 – Habitudes

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A peine le trajet achevé, appeler. Signaler notre proximité. Et même si son travail l'accapare, nous nous retrouvons, fébriles, tard le premier soir. Et commence alors une longue nuit, éreintante. Notre amour éponge nos fatigues.






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De même aucun retard admissible à l'arrivée de son train en gare. Chaque rencontre édifie une parcelle de notre édifice amoureux. La crée. La consolide. Géométrie de notre amour. 
Attentifs l'un envers l'autre : la règle élémentaire de notre union. Rassurer des cauchemars. Consoler des déceptions. Expliquer les confusions. Ne jamais tenir compte des évidences et ancrer notre foi dans le regard de l'autre.
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D'habitude, les séparations se muent en longues déchirures. Douloureuses, insupportables. D'habitude.
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mercredi 22 février 2012

30 – Purification

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L'eau sur la peau coule. Toujours très chaude. Nécessaire. Obligatoire. Irréfléchie. Après chaque action, se doucher. Plus qu'un réflexe : une manie. Comme pour tuer des germes. Sur la nuque rasée, lisse, l'eau frappe par vagues, engourdit, hypnotise. Elle rend le souvenir lointain.


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Aussi loin que ma mémoire remonte, toujours l'eau fut un rituel. Une prière de pardon. Un linceul enveloppant le corps, isolant une réalité insupportée.



 

Un Autre, amnésique du précédent, se séchait. Oublié, le corps nu dans le couloir. Enterré, l'épi de blé lacérant le dos. Evacué, le doucereux danger de s'exposer. L'eau purifie. Le monstre meurt. L'enfant retrouve ses droits.
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samedi 18 février 2012

04 – Flocons noirs

froid

Irrémédiablement, la neige augure une chevelure noire. Celle de Che-Nen. Dès que les flocons saupoudrent le décor, à chaque instant au détour d'une rue, mon regard le perçoit. Mais le temps s'écoule et l'automatisme du souvenir se grippe.

 neige
Désormais, une crainte m'envahit aux premiers flocons. La perspective évidente du gel des désirs. Navré, je contemple le sol blanc. N'espère plus que la douce chaleur du printemps. Celle-là même qui caresse la peau. La brunit. La fleurit.

japan boy 10

mercredi 15 février 2012

29 - Rivières fraîches

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La surface se ride. Mon regard se détourne. Elle saute, se sauve d'un coup de reins. Un vent léger, chaud, modifie le paysage. Les branches se tordent. Les nuages s'enroulent. La grenouille profite du bord de la rivière. Un klaxon au loin déchire la chaleur pesante.
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Mon grappin rougi valse en rond. Hypnotique leurre pour grenouille verte. Joël m'a appris ce passe-temps. Mais le jeu ne vaut que pour le plaisir d'admirer sa peau mate dans l'eau fraîche d'un après-midi d'été.
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samedi 11 février 2012

24 - Non !

face a la mer 


Elle revient de la ville, un petit paquet de soldats verts en plastique. Son regard malicieux m'incite à garder ce cadeau secret. Notre secret. Un lien indestructible entre le petit garçon fragile et ma grand-mère.







 

corps

L'hiver rudoie mon souvenir. Il sort de la salle de bain en tricot de corps, bas de pyjama à rayures bleues. Pieds nus sur le carrelage. Mon père me renvoie l'avion à friction découvert au pied du sapin, un 25 décembre 1964.




Leurs regards – gris pour l'une, bleu pour l'autre – se chevauchent dans ma tête. Le froid me pince. Un mot me traverse en un éclair l'esprit : non ! Ce n'est pas là une vie perdue, inutile. Au moins ces repères-là m'orientent-ils et éloignent de moi les peurs de l'enfant. Est-ce là une vie gâchée ? Du temps oublié ? Un long couloir que seuls les morts jalonnent ? Une guerre de 50 ans aux batailles toutes perdues ? La neige et le froid cerclent ma mémoire. Non !
le long rocher

mardi 7 février 2012

03 – Déception

couple4Pourquoi, comment est-il entré ? Nul ne sait. Là, en moi, il force. Dur. Trop. Un mal m'entoure, m'envahit. Je cède, m’effondre sur le divan. Ouvert, écartelé.
Pourquoi, comment est-il entré ? Nul ne saura. Ni moi. Ni lui qui, bientôt, repartira. Mon plaisir m'envahit le présent. Amnésique du passé, plus rien n'est vrai. Tout s'oublie, y compris ma douleur ?

 

dechirure
La porte claque ? Un vent s’engouffre dans la pièce. Seul. Isolé. Vieillard de 50 ans. Un rideau ondule. Une angoisse m'anesthésie. Cloué sur le canapé. Plein d'images me cousent les paupières. Une, puis deux, puis trois, et plein de larmes me brouillent le regard.

larme

samedi 4 février 2012

52 – Perfections





Depuis toujours – encore maintenant passés 50 ans – le regard d'autrui me détruit. Inquisiteur, accusateur, moqueur. Haïs, ceux-là qui me fouillent le tréfonds de l'âme. Qui m'auscultent les envers.





Au contraire, Che-Nen me rassurait. Son regard doux me renvoyait une image de ma personne résolument sans failles. A révéler mes fissures gigantesques, son regard abolissait toutes mes inhibitions. Je devenais parfait.


Le cataclysme de cette rencontre s'est aussi joué sur ces arêtes. Et délivre le pourquoi d'une rupture si choquante. Comme toute disparition prématurée, au zénith d'une gloire. Envie de hurler sa haine dans un micro.