lundi 28 mai 2012

57 – Mentir (partie 2/3)










Elle attend ma réponse. Accepter ces premières vacances en duo – un tour complet des côtes bretonnes – reviendrait à sceller le pacte. Question lancinante sans réponse. Pour la énième fois, je dois inventer mon avenir. 


En cette année 1986, le sida consume mes plus belles illusions. L'absence de paternité me trouble. Le regard inquiet – quasi inquisiteur – de mon père quantifie cette trouble inquiétude. En cet été 86, le sida ravage mon avenir. Me fallait-il mentir pour que je m'en tire ? Homo ou père ?


La réponse n'existant pas, l'alternative s'impose. En cette fin d'après-midi de l'été 1986, décrocher le combiné – une douleur – mouille mon regard. Le soleil par la fenêtre aveuglait-il ? Composer son numéro – une souffrance – noie ma parole. Des mots humides, choisis, déclarés, déclamés -- immédiatement regrettés. L'été sera donc hétéro. Faire un choix, est-ce mentir ?

jeudi 24 mai 2012

56 – Mentir (partie 1/3)

Transformer, déguiser, travestir, falsifier... Le mensonge ? : un masque ignoble, porté pourtant. Me protéger. Ne pas trahir leur confiance. Rien, ni elle, ne me laissaient le choix. Obligé de faire le grand écart dans chaque conversation, j'ai connu les affres de la duplicité.
Tourments insupportables ! Biaisé, le monde ? Non ! Déjà enfant, la promesse valait la règle : n'être que soi mais l'être. Dès l'enfance, s'interdire les réalités biaisées. Fuir les zélateurs de tout poil. La bonne humeur et l'entrain à faire les choses m'ont toujours paru suspects...

Aussi, lorsqu'il a fallu à mon tour paraître en tout lieu en adéquation parfaite avec la réalité, le mensonge s'est-il imposé comme une armure. Se protéger, donc leur mentir. De même, mon enfant qui dans mes bras se blottissait, protégée de Che-Nen.

mercredi 23 mai 2012

27 – Compliquées, les choses !

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Au départ, on a un simple bobo. Rien de grave qui puisse justifier qu'on rameute le ban et l'arrière-ban de la région, du pays, du Net ou du monde médical. Une 'tite coupure. Un peu de jardinage (oui, l'idée n'était pas des plus judicieuses, j'en conviens) et le bobo s'infecte.













boxOn est très-très loin de l'amputation ! Mais non : le médecin de famille appelle son confrère spécialiste en traumatologie des mains. Lequel exige de m'ausculter dans l'urgence, hier matin. Il faut opérer, ouvrir, évacuer le liquide malin, refermer. Bon, je tends mon bras... Mais non !





Il lui faut un bloc opératoire ! Une anesthésie générale ! Trois infirmières ! Un anesthésiste ! Une chambre pour 48 heures ! Mon estomac à jeun ! Une opération qui va coûter bonbon... Juste pour une petite incision à la con ? Un simple scalpel et un minimum d'hygiène, ça aurait pas suffit, chez le généraliste ? Je rentre demain dans cette clinique. Seulement demain parce que, en plus, il faut des papiers en règle !
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mardi 22 mai 2012

03 – 所以然 Excuses

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Une tonne de raisons formelles obscurcissent mon champ de vision. Trouver des excuses aux autres. Tenter, tout de même, de (sur-)vivre à ces infamies. La simplicité a toujours été perçue comme une ennemie intime. Crânement, il rejette sa mèche d'un coup de tête : le monde lui appartient. Mais qui donc est-il pour se croire le propriétaire des lieux ? Qui, coupable ? Leurs silences ? Mon mutisme ?

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D'improbables envies lui permettaient qu'un pas suive l'autre. Leurs réalisations formaient une marche vivace, presque une danse à laquelle nous rêvions d'être conviés. Désormais, cette gracieuse démarche l’alourdit, lui pèse, nous afflige. Se convaincre que cela n'est pas soi. Être autre chose que cette chose immonde, importe énormément.

Leur chercher des excuses permet surtout de ne pas se scruter. La Vie ne serait-elle qu'une vaste excuse ? Un vulgaire prétexte à rien ? Va savoir, gamin...et n'oublie pas d'en informer tes vieillards !
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La raison d'être, le pourquoi ou la cause peut se dire [suǒ yǐ rán] en Chinois : 所以然 suǒ yǐ rán le pourquoi la raison d'être la cause

samedi 19 mai 2012

02 - 羞耻 honte



solUne journée se meurt, enfin. Un simple laps de temps à une échelle universelle, oui. Qu'elle fut longue pourtant ! Et pénible. Et blessante. Muette.
Quelle honte s'est donc abattue sur le monde aujourd'hui ? Pourquoi se sont-ils tous tus ? Silencieux comme des ombres. Ni écrit ni prononcé, aucun mot ne m'a été adressé. Ou est-ce moi qui suis sourd ?

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Bouche terreuse. Regard détourné. Paupières closes. Une honte imprègne chaque instant. Son origine impossible à déterminer la rend monstrueuse. Fautif, coupable, mais de quoi ? Pourquoi ce silence assourdissant mes oreilles me condamne-t-il à errer dans un monde vide ?







羞耻 xiū chǐ  honte


La honte peut se dire [xiū chǐ] en Chinois :

jeudi 17 mai 2012

01 – Vide

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Les murs vides se renvoient le bruit de mes pas. Maison inhabitée, fascinante. Le volume se hache de rayons lumineux, tubes de soleil où virevoltent la poussière. L'acheter ou pas ? Je tente d'écouter le silence. Et je n'entends que lui ! Sa voix survole la Méditerranée, me supplie de ne pas l'oublier.

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Cette poussière tourbillonnante distille un goût de papier mâché. Mes narines frémissent à cette odeur âcre. Et elles se collent au creux de ses aisselles ! Son odeur après l'amour, transportée par le vent chaud, m'implore de ne pas l'oublier.



Les sons, les odeurs de Farid m'envahissent le quotidien. Mon monde se dépeuple. Tous désertent mes places. M'alimenter ne me nourrit pas. Me doucher ne me lave pas. M'exercer ne me distrait plus. Seul – ou plutôt vide face au souvenir de Farid. Farid s'éternise au Maroc. Selouane m'exaspère.
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vendredi 11 mai 2012

55 - 执著 obsession









Une ombre. Là-bas, au loin, au coin de la rue. Espérer ne pas se tromper. La suivre, guetter cette silhouette. Cette nuque gracile, brunie du noir de ses cheveux. Revenu ? Le dépasser. Discrètement le dévisager... Déception.





Des voix. L'autre jour, dans la rame du métro de Lille. Parmi le brouhaha, la sienne ! Nul doute ! Se retourner, s'orienter, se rapprocher. Juste deux jeunes. Aucun n'est lui. Déception.





Vouloir à tout prix transcrire cette infernale obsession de le voir, à chaque instant, en chaque lieu. Traduire cette indicible émotion. Transposer cette putain d'envie de vouloir le voir en vrai. Mon esprit s'invente une évasion. Echapper à la folie qui guette. Ecrire cette obsédante obsession.








Obsession peut se dire [zhí zhuó] en Chinois :

mardi 8 mai 2012

26 – 残存 survivre

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« A man that is born falls into a dream like a man who falls into the sea. If he tries to climb out into the air as inexperienced people endeavour to do, he drowns- nicht wahr ?... No ! I tell you ! The way is to the destructive element submit yourself, and with the exertions of your hands and feet in the water make the deep, deep sea keep you up. So if you ask me- how to be ? »




world trade centerEn naissant, un homme tombe dans un rêve comme on tombe à la mer. S'il veut se débattre pour en sortir, comme le font les gens sans expérience, il se noie...pas vrai ? Non, je vous l'affirme, ce qu'il faut, c'est s'abandonner à l'élément destructeur, et en se débattant avec les mains et les pieds dans l'eau, s'arranger pour que la mer profonde, profonde vous soutienne. Voilà, si vous me le demandez, comment on peut arriver à « être ».


Joseph Conrad, The Lord Jim, 1900, Chapitre 20





survivre [cán cún]



Survivre peut se dire [cán cún ] en Chinois :

vendredi 4 mai 2012

54 – fǎn xǐng ( 反省 ) retour sur soi-même

Hier. Le jour meurt peu à peu. Extatique, de ce banc, rejoindre Che-Nen à l'autre bout du monde. Les distances ? De ce banc, quelques mètres nous éloignent du lieu de notre séparation. Le temps ? 22 ans nous écartent de cet instant fatidique. Cette chanson dilue ma mémoire.









 
              
        "I could try to say I’m sorry                                     From the dumb silent weakness
      But then won’t be quite enough
                              To the blindness of the night
      To get you know pain that I feel
                             And we see reflexions so clear
      And it just won’t let…                                           
And the blush of the morning light
      Oh, it feels like the sky is falling                             
Hmmm time it can pass so slowly
      And the clouds, clouds are falling in
                       When you face the burden down
      When I lose control, when it all begin.
                     The term is not…

                                         
               Chorus:
               Please, forgive my heart,
               Cause not that the problems 
               Lies anywhere in there 
               I’m a liar, I’m in a dream                                                               
               Going my way, nothing to rely on    
                               
                                                                                                      
 

Bobby Womack
Please Forgive My Heart
                                                           
                                                            

 

 





Retour sur soi-même, examen de conscience peut se dire [ fǎn xǐng ] :

mardi 1 mai 2012

33 - bārākh habbā

p187Leurs dents me crèvent les tympans. L'une – une main ferme au front l'autre sur la nuque – s'évertue à me susurrer que tout va bien. Pourtant elle oblige ainsi ma tête à se pencher. L'autre – d'une voix nègre, penché sur cet orifice qu'il tente de percer de son stylet effrayant – un o.r.l. Qui s'énerve. Il a trois yeux. L'un d'eux, au milieu, lumineux, m'aveugle.



p186


Dehors, des enfants jouent et des trains s'ébrouent lentement. Leurs cris suintent des murs. Si je noie mon oreille de ces hurlements stridents, peut-être mon tympan guérira ? Eviter enfin ces frayeurs hallucinantes ! Dans la salle d'attente, les regards s'humidifient, ceux des patients tordus par mes hurlements. Cependant, chacun reste coi.


Etais-je donc si mauvais général pour que les armées de soldats offerts contre ces tortures itérées n'aient jamais su se battre pour effacer ces trahisons ? La pire de toute, le plus grand bruit assassin : le silence de mon père. Stridence isolante, mue en un infernal brouhaha qui, aujourd'hui encore, me bouche les oreilles.
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