jeudi 27 septembre 2012

37 – Entre chien et loup

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Les ciels opaques de septembre moutonnent l'horizon. Ça et là, des puits de lumière trouent les nuages. De la route, à travers le pare-brise, ces piliers jaunis semblent soutenir ces balles de coton sale mais lui rendent un certain espoir. De même, ma mémoire s'obscurcit en cette fin d'après-midi, ouverte ça et là de vagues souvenirs.

Attendre. Ne plus pleurer. Me calmer. Jouer. Patienter en jouant. Comment tromper la langueur de cette attente ? Les adultes mentent seulement si l'enfant s'en aperçoit. Sans cet instant vigilant, le monde aurait dû rester enfantin, pur, parfait, idéal.

Quand reviendront-ils ? Bientôt, affirme-t-elle. Ne pleure plus. Calme-toi. Ma grand-mère sait que le mensonge sera vain. Alors elle me prend dans ses maigres bras, me porte, me berce avec d'autres mots. Ma lourde tête caresse son épaule. La pièce principale de la maison glisse dans une lente rapidité du clair à une obscure nuit d'angoisses.
p264

lundi 24 septembre 2012

10 - 広島 Hiroshima

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Sèche, aride, la Terre parcourue de chemins illusoires. Certains pensent s'y perdre. D'autres l'arpentent d'une certitude déconcertante. San Francisco, Rio, Tel-Aviv voire Tokyo : inutiles destinations propres à pallier les absences, les séparations, les démissions, les silences coupables, les innocents aveux. 

 





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Tout cela valait-il vraiment le coup ? Cette vie-là. En creux de tout. Pleine de riens. Galerie de corps, musée des destins jamais partagés. Vers quelque direction que mon regard porte, toujours la même désolation silencieuse.










p260Silencieux témoin au cœur de grouillantes mégalopoles nippones, l'hibaku jumoku veille. Je suis de ces arbres entêtés d'Hiroshima. Au milieu de mes paysages ravagés, je contemple les Hommes qui traversent ma vie.

En Japonais, les arbres atomisés en 1945 qui ont survécu sont appelés [hibaku jumoku] : 被爆 樹木

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dimanche 16 septembre 2012

09 – Inspiration

marcheur


Le passant passe. Lui, il vogue. Ses yeux guide mon trajet. M'empêche de chavirer sur ces écueils publics. Il traverse le passage-piétons d'un pas mâle. Panique à son approche. A sa main, une canette de soda. Midi résonne à un clocher.


A quelques mètres de nous croiser, nos regards s'enlacent autour d'un fil – invisible des autres. Un lien ténu, néanmoins solide. Il me devine, me supplie d'admettre l'évidence : je le trouve très beau, je le désire et peut-être l'aimerais-je après l'amour. Tout à l'heure, je lui gémirai cet indéfectible serment lorsque ses doigts laboureront mon dos ?
chair de poule1Dans un dernier instant commun, aimantés par nos yeux – les siens sont gris ! – nous achevons notre échange. Mes paupières lentement éteignent mon regard. Dans un réflexe ancestral, mes narines s'écartèlent pour aspirer dans son sillage un parfum sucré, intime : lui !
Mais déjà nos chemins se quittent. Notre attirance ne parvient pas à suspendre le temps. Dans un ultime regret, nos regards se remorquent l'un à l'autre. Avant le coin de la rue, tourner la tête : peut-être en fera-t-il fait autant ? Jamais je ne saurais. Il avait déjà disparu.
reflet

vendredi 14 septembre 2012

08 – Un jour mon prince...

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L'alcool sans aucun doute... Pourtant mes mots ne mentent pas. Mais Yopé insiste : 






- Quoi ? Me dis pas que t'as jamais eu de plan cul ! Hein ? Se faire un mec...juste comme ça, en vitesse... Pour te soulager... Ou simplement parce que l'autre était canon, quoi !
- Ben...non ! Jamais, désolé ! J'peux te paraître extraterrestre mais... Non, ça, j'ai jamais fait.

sticky fingersEn même temps que mes lèvres sculptent ma réponse, des images par centaines me flashent la mémoire... Des parties de corps, des grains différents de peaux. Des sexes, des longueurs, des odeurs, des goûts. Beaucoup de regards aussi. Et le plaisir qui les coloraient avec. L'alcool, oui, m'a décoché ce rictus connivent adressé à Yopé. Pas de fausse confession : juste une marque supplémentaire d'amour à l'égard de Maki qui ne perdait pas une miette de cette étrange conversation.
Trop de fatigues accumulées aussi. L'explication s'imposait : les mecs, depuis mes onze ans, une vraie collection d'entomologiste, sans me vanter ! Mais chaque fois le même espoir déçu : que son sperme se transforme en mots d'amour. Un jour, mon prince viendra...
bat

samedi 8 septembre 2012

07 – Plein Sud

p258Cela ressemble à un langoureux striptease. Nos mots soulèvent, l'un après l'autre, des pans de nous-mêmes, nous dévoilent, nous révèlent tels que nous sommes. De confidences puériles en graves éclats de rires, cette soirée de fin d'été achève une lente métamorphose. Ou l'entame. Je ne sais pas. Dans cette touffeur nantaise,Yopé et Maki en sont les témoins. Ou les complices. Je ne sais plus.
p256Un peu d'alcool mais surtout ce nouveau territoire – découvert ou conquis – fréquenté par Yopé et moi, engendre une ivresse inconnue. Les sujets abordés – sans importances en soi – sont autant de prétextes pour oser. Oser se dire. Oser en rire. Oser médire. Les règles jusque-là en vigueur s'abolissent au long de la soirée. Après le restaurant, la terrasse d'un bar gay de Nantes.
Notre nouvel Eldorado semble ne posséder aucune limite, aucune frontière. Cinquante-deux ans de non-dits, de silences, d'hypocrisie déferlent dans de folles plaisanteries. Feux d'artifice de mimiques, de bons mots. Des regards complices bordent ces vastes étendues sauvages d'une amitié inattendue. Lui tracent des chemins balisés, praticables.
Le retour sur Saint-Nazaire fut cruel. Sans Maki, la nuit insupportable devient une plaie. Et quitter Yopé a été un déchirement.
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mercredi 5 septembre 2012

36 – Ecorces

tree

Sa peau râpe. La mienne – douce, blanche, fragile – en rougit. Mes narines emplies de son odeur complexe, mon corps au repos goûte son silence. S'y mêlent la pourriture et la sèche âcreté des végétaux et animaux décomposés. La molle rigidité de mon sexe s'adapte à la dureté de son enveloppe. Solide, assuré, lui sait me rendre tangible, stable.





dead young manIl sait combien mon temps se limite à une infernale poignée d'infimes secondes. Mon corps mort l'intégrera, l'ingérera. Méthodiquement, minutieusement. Son temps se cale sur celui de la Terre. Géant temporel, combien de désespérés a-t-il su consoler ? Combien d'humiliés avant moi ?
Grand-père, père, frère, amant, fils : sous mes doigts convoqués, les hommes de ma Vie constituent sa tendreté. Caressés enfin, palpables, tangibles, les absents évoqués m'entourent sans fin. Remparts imperméables à la bêtise, la cruauté des Hommes. Blessé, ma ballade en forêt éloigne leur mépris.

danse