dimanche 21 juillet 2013

03 - Sic* (transit gloria mundi)*


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Comme il y a dix ans, Philippe passe. Conversation animée, intime, drôle, distrayante. Notre mogwaï nous rapproche aussi. Son mec ? Il l’a quitté depuis un an. Encore un point commun. Depuis, il me cherche dans la région. Voilà, me retrouvant, il m’aime.
Comme il y a dix ans, Philippe s’arrête. Un repas au champagne, une soirée chic et précieuse. Il dormira dans mon lit. Câlins, caresses. L’amour, toujours. Philippe se sait très bon amant.





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Comme il y a dix ans, Philippe repart. Au petit-déjeuner, il doit vite repartir : du travail l’attend. Comment ? Non, il ne reviendra pas avant quelques jours. Il est incapable de donner une date. En fait, comme il y a dix ans, Philippe ne reviendra pas. Sic.





* « Sic » est un adverbe que l’on place après un mot pour insister sur son étrangeté ou son incongruité.
* “Sic transit gloria mundi” : Ainsi passe la gloire de ce monde.
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samedi 20 juillet 2013

02 - Jeu de main

p348Angoissé, il me rassure. Un d’abord qui masse en petits mouvements circulaires. Puis deux qui entrent à peine, ressortent puis entrent à nouveau. Trois qui restent encore, plus avant, plus dedans, pour jouer encore. A l‘innocence, on se fait toujours avoir. Installer dans une habitude rassurante une nouvelle pointe de nouveauté. La curiosité fait le reste. 

liens 




Quatre, sérieux cette fois, dans toutes leurs longueurs qui inspectent et prennent place. Seul son regard plongeant dans le mien m’attache encore un peu au monde. Si peu. La vérité s’y lit à l’avance, inéluctable et acceptée. Le pouce enfin, jusqu’au trapèze, soumet. Puis lentement mais inéluctablement, les carpes, en semi-rotation. Soumis à une douleur étrangement consentie. Dans son regard cruel, un peu de tendresse m’accroche. Mes plaintes qui ne l’arrêteront pas, nous exciteront peut-être ?
Empli de là, le monde entier s’y précipite. Par une étrange alchimie, l’extérieur est devenu l’intérieur. Les valeurs ? Inversées : perdu, par cette dérive enfin arrimé, comme retenu à ce point. Désespéré à l’idée d’une fin. Son avant-bras nu, poilu, sans main et au bout, mon corps.
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jeudi 18 juillet 2013

57 - Outil

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Les heures et les jours passent à une lenteur désarmante. Maki, de temps à autre, m’interpelle. Des petits riens, la plupart du temps. Les seules attentions auxquelles j’ai droit, intéressées forcément. Jamais lorsque j’en éprouve le besoin. Toujours lui qui dicte le peu de temps en commun. N’être qu’un instrument de son quotidien me renvoie à l’état d’objet. Mon corps entier est devenu un objet pour lui. Pour les autres aussi. Mon corps modelé par leurs ordres, sculpté par leurs caprices les plus fous. Impossible de faire comprendre à Maki que cet esclavage lui est dû.

dimanche 14 juillet 2013

01 - Dispersion


foule2Au-delà du raisonnable, la multiplication des rencontres a dessiné une sorte de champ de bataille d’une époque révolue tel qu’on en voit dans les films historiques : une brume matinale mêlée à la fumée des canons rend floue la vue de cadavres anonymes embourbés, mutilés, disloqués. Un chef de guerre pensif, courbé sur son cheval contemple cette plaine de désolation. Mon père, sans doute. Ou une figure tutélaire de cet ordre.
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Bien au-delà des douleurs éprouvées, mon corps s’entoure de quelques-uns seulement mais utiles : remparts protecteurs, ils éloignent les dangereux et leurs nocivités. La plupart possède une qualité ou une certitude ou une stabilité rassurante, qui me protège donc mais aussi apaise mes impulsions coléreuses. L'un, sa jeunesse. L'autre, son dos musculeux. Celui-ci encore, un sexe hors-normes. Cet autre enfin, un regard bienveillant. Des frères, sans doute.