jeudi 30 avril 2015

11 - Lettre n° 8

 (1)  Les hasards... 2H est entré dans ma vie à l'internat en Sixième dès 1971. Il était alors en Cinquième et un sale petit con. Quelques redoublements plus tard, nous sommes devenus amis en Seconde, toujours à l'internat en 1976. Bien plus tard, en 1995, pour y loger ma famille, j'ai acquis le presbytère du village de son enfance. En 1999, son père y vivait encore et le fils venait rendre visite à son père régulièrement de Strasbourg (où il vit habite).  Pour en savoir plus sur ma relation à 2H, quelques posts de ce blog dont celui-ci : http://guy-zulma.blogspot.fr/2011/12/24-premiere-fois-partie-23-purgatoire.html
(2) Jym, tout comme 2H, a énormément compté dans ma vie mais plus tardivement, la vingtaine venue.  Et de la même façon (mais était-ce ma faute ?), il l'a quittée, ma vie, sur la pointe des pieds. Lui comme 2H sont toujours des "amis" mais plus virtuels que réels si peu nous nous voyons. Sur Jym, ce post à relire : http://guy-zulma.blogspot.fr/2013/01/42-la-butte-des-pierres.html            





                                                                            Lettre n°8
                                                                              de B......., le mardi 25 mai 1999, 09h05.

                              Papa,
2H(1) est venu hier matin, sans crier gare, en vitesse, dire son petit bonjour comme un chien, négligemment, lèverait la patte...marquer son territoire.
Pour causer d'autre chose : ce qui vient de me frapper, là, sur ta photo de mariage... Tu occupes la droite de ma mère. Ben oui, puisque tu es à la gauche sur la photo. Tu es à sa droite. Et j'ai horreur des gens qui se tiennent à ma droite. Je veux dire : à chaque fois que je regarde ce cliché unique, je m'attends naturellement à ce que tu y sois à droite. Cette gauche me chiffonne.
Je crois que personne ne m'aime, et surtout pas elle. C'est terrible. Mais je suis blindé. Ce qui m'intéresse c'est d'imaginer comment tout cela va se finir.
J'aimerais tant n'avoir rien eu à connaitre de tout cela.
Bien-sûr 2H ne ré-écrira pas. En attendant qu'il revienne pisser sur mon mur. Ni Jym(2). Ni personne d'autre. Depuis ton départ, le monde est vide. Vide de tout, de tous, de toi et de moi. De sens surtout.
                                                   Ton fils.

mardi 28 avril 2015

10 - Lettre n°7




 (1) Bien plus tard, lorsque mon fils aura à gérer son divorce involontaire, au plus profond de nos conversations, je pense être parvenu à lui faire comprendre qu'exister pour soi est un principe de vie essentiel.





                                           Lettre n°7
                                              de B......., le 22 mai 1999.


                              Papa,

Durant mon enfance, je n'ai rien dit : je ne savais pas.
Après, je t'ai certes reproché beaucoup de choses mais tu savais -- et je sais aussi maintenant -- que ces choses-là relevaient plus du "j'existe" que de la réalité.
Aujourd'hui, un seul reproche persiste, deux ans après que tu sois parti : tu as oublié de me dire à quoi ça peut bien servir d'être là, de rester là, à la surface de cette Terre.
Je vieillis moi aussi. Et à 39 ans, je me sens inutile. Je veux dire : je ne sais pas à quoi je peux bien servir. Aux autres, je ne doute pas avoir une utilité. Le problème viendrait plutôt à moi-même.
Je ne sais pas à quoi je sers à moi-même. Je me sens vide. Vide de sens, d'émotions, d'impressions. Je suis heureux parce que quelque chose de l'extérieur à moi-même me rend heureux. Idem pour les autres sentiments, contraires ou connexes à la joie. Mais je n'existe pas à moi-même, pas en moi-même : je n'existe que grâce aux autres. Dépendre des autres est extrêmement pénible.
Et là est mon reproche : tu ne m'as jamais appris comment je devais faire pour être pleinement empli de la certitude d'être pour soi quelqu'un. D'en être empli au point d'en oublier le fait même de l'être. L'angoisse qui m'étouffe, comment y échapper ? Je me dis alors qu'avec ton petit-fils, qui aura 11 ans cette année, je ne commettrai pas le même oubli (1).

                                                               A très bientôt, ton fils.















samedi 25 avril 2015

03 – Douceur









Le souffle tiède du vent dessine les contours de mon visage. Mon corps, à la terrasse exposé, se repose. Des touristes passent, pas encore inquiets de leur retour. La place, calmée après tant de siècles d’agitations, figée, m’est comme un écrin.
Un garçon, assis là-bas près de ses parents, remue le passé à ma place : l’adolescent regarde son père. Son regard est le mien qui se fracasse en mille questions. Moi, je sais – lui ignore encore. Ce géant auquel il s’arrime n’est qu’un fragile colosse. Les voir me peine.
Le souffle tiède du vent dessine les contours du visage de mon géant disparu. La douceur trop sucrée de cet après-midi du printemps angevin m’écœure.

samedi 18 avril 2015

02 – Folies




La bête est immonde. Mythologique, à la manière d'une Gorgone : la frôler vous mange, vous pétrifie, vous exclut de l'Humanité. Et de quoi donc se nourrit la folie de ma mère ? De ses souvenirs, de sa mémoire, du peu qu’il reste à un être vivant pour se dire un être humain. Un sentier de 89 ans s’efface cruellement. Ou cette cruauté nous est-elle due, qui la fuyons honteusement ? Nul fou coupable parmi ses enfants, dont moi : leurs écarts préservent leurs propres souvenirs de elle, intacts. Un rire nous saisit, nous surprend. Une danse esquissée, multipliée de nos ombres. Tout cet infernal fatras affaiblit nos tristesses et le rire enfle. Le rire délire.

 
Cette guerre-là est vaine. Réfugié, le sommeil m’accueille souvent. Redevenu un enfant confiant, lui abandonner mon corps fatigué passe pour une trêve. Ou est-ce sa fourberie ? Nu, défenses basses, mes souvenirs heureux affrontent ce hideux présent dans des lits cauchemardesques. Mes réveils deviennent vraiment cruels.