mercredi 25 novembre 2015

05 - Choc : oblation* (partie 2/5 )

Esclave de mains étrangères. Chaque matin, mon corps se lave, avec moult minuties, des miasmes de ma vie. La main adoucit la honte d'être ainsi offert au regard, au jugement, au mépris. Peu à peu, tout le long de ces semaines, cette même main redonnera un sens à ce corps déchiqueté. Au dixième jour – était-ce là une réponse au silence de mes larmes ? – un peu plus insistante à cet endroit, la main soupesa mon sexe alourdi des fatigues et des privations. S’y attarda un peu. Larmes dignes. Petit à petit, elle ré-apprendra à mon corps sa fierté.
D'autres mains encore, pour les pansements. Pas moins expertes mais plus rudes. La compassion cédait alors sa place à la froideur du geste médical. Pire encore, ces regards d'internes arrogants, essaim servile et quotidien de leur professeur. S'oublier derrière ces mots savants qui ne regardent qu'eux et attendre que le drap recouvre enfin mon corps offert, la reine enfin évacuée vers d'autres patients.

Perfusé, nourriture interdite. Six jours de cette diète. Puis un régime "purée-pâtes" lors des dix premiers repas. Un matin, on s'avisa de ce que je prendrai : café noir ou au lait, deux biscottes. L'odeur du café allait enfin avoir un goût ! De ce jour, à chaque fois, un peu plus m'était accordé : un carré de beurre, deux autres biscottes, de la confiture.
La purée et les pâtes colorées de quelques carottes, augmentées de viandes puis d'un peu de sauce. Le vert de la salade me parut insensé.

*Oblation : Acte par lequel le prêtre offre à Dieu, pendant la messe, le pain et le vin qu'il doit consacrer. 
Le séjour dans ce service de chirurgie générale dura près de trois semaines.

mercredi 18 novembre 2015

04 - Choc : 462 cf (partie 1/5 )





Quelques sons. Faibles, sourds...des voix...des bruits peut-être...très au-dessus de moi, mon regard flou perçoit comme de la lumière jaunâtre. Ma tête, comme sous l'eau...tout faire pour l'en sortir...peu à peu, une blancheur, mais mate, inonde mon regard vague. Un visage de femme se penche sur mon visage d'opéré. Quelques mots – oubliés depuis, même si par convention on dirait : "Comment allez-vous ?" – auxquels mes doigts tendus tentent de répondre en tanguant de droite et de gauche. Bof. Du moins dirait-on que je vis encore.






Quelques instants encore dans cette salle de réveil puis mon lit est poussé dans un dédale de couloirs aux odeurs hospitalières un peu écœurantes. Un jeune homme, je crois, ajuste le drap à mon visage. Un ascenseur, des portes. Les odeurs du bloc s'estompent. Une douce chaleur prend le relais. Des voix toujours plus claires. Après un arrêt et une discussion que je ne saisis pas, une porte enfin s'ouvre.
Dans cette chambre double – non occupée encore – de l'hôpital Dron de Tourcoing, on me place, premier arrivé, "côté fenêtre". "462 cf" : c'est le code désormais utilisé pour ne me confondre avec personne. 4 pour l'étage, service de chirurgie générale. Niché dans cet arbre de douleurs depuis début novembre.