lundi 4 janvier 2016

02 - Choc : 13 novembre 2015 (partie5/5)



Peu après son opération, Monsieur-pas-tout-le-monde reçoit. Beaucoup et régulièrement. Toujours les mêmes messieurs aspergés de parfums trop musqués, le verbe haut. Leurs premières conversations me font comprendre que mon voisin de chambre donne des cours de religion dans une mosquée.

Chaque jour, donc, vers 14h00, une bande de six ou sept vieillards viennent palabrer dans sa moitié de chambre, autour du lit. Un bon quart d’heure, rarement plus. Au tout début, une sorte de suspicion s’immisce. On s’inquiète de la fumée et donc du feu…Et pourquoi toi, à ton âge, tu as ça, une maladie d’enfant ? Monsieur-pas-tout-le-monde tente de raisonner mais on sent bien qu’il n’ose pas pousser les choses trop loin. Du coup, les mots éclatent. Extraits :
Dieu t’a éprouvé… C’est Lui qui t’a fait subir cette épreuve ! Tu n’as pas de plaies ! Je l’ai échappé de justesse, heureusement qu’ils prennent bien en charge ici. Oui la médecine a fait de grands progrès mais c’est Allah qui décide de ton sort ! Sans Lui, pas de médecine ! Les docteurs sont bien et même mieux qu’avant, il y a eu du progrès, c’est vrai…mais si Dieu a dit...

Appositions récurrentes, Allahou akbar et Hamdoulah mitraillent leurs soi-disant conversations qui ne sont, en fait, qu’un vulgaire empilage de convictions sans idées. Puisque Dieu est Grand…à quoi bon penser ? Enfin seul, mon voisin ne gémit pas : il prie ! Quatre, cinq fois par jour, son Coran chuchoté derrière le rideau blanc. Dieu – ni le sien ni le mien – ne l’empêche de hurler sans pudeur sa douleur lorsqu’il a mal. Et il est sacrément douillet, Monsieur-pas-tout-le-monde : la moindre piqûre devient son cauchemar, comme la preuve athée que le monde n'a pas besoin de Lui. Quant à moi, j'émerge peu à peu de mes délires de morphine, les douleurs s'avérant supportables. Et dix jours durant, ce défilé affligeant de l'indigence religieuse a achevé de me convaincre (comme si, à l'aube de mes 56 ans, j'avais encore besoin de l'être) que l'obscurantisme est décidément bien un ennemi complexe. Pas rancunier, lors de ma sortie, je lui ai souhaité un prompt rétablissement. Mon demi-sourire se voulait ironique mais je ne suis pas certain qu'il l'ait interprété de cette façon.

Sorti de l’hôpital en milieu d’après-midi, le vendredi 13 novembre 2015, la soirée et la nuit m’ont rappelé que certains n’admettent toujours pas que ce monde fonctionne sans leur Dieu… Un demi-sourire y suffira-t-il ?