samedi 17 décembre 2016

01 - Gravités


Sa voix vibre encore les pièces désormais vides, grave. Une profonde voix qu'aucun silence ne parvient à couvrir. Maintenant qu'il est parti, l'appartement s'emplit de ses sons. Cet homme jeune, sonore, colonise ma mémoire.
L'odeur qu'il a laissée sur les draps, s'estompera. Ce métis – nouvel amant – à ses ancêtres africains, dédie ses odeurs graves. A ma demande – de ses aisselles, de son pubis, de ses fesses – son excitante transpiration couvre mon maillot : vain subterfuge puisque le temps allègera – peu à peu, aussi, hélas – cette gravité-là. 



Le goût du corps de Mathieu, trop récent, ne supporte encore ni descriptions ni métaphores. Grave dilemme dont sortir indemne tient de l'utopie : exprimer(1) l'indicible.

(1) exprimere (lat.) : faire sortir en pressant

dimanche 16 octobre 2016

02 - Boomerang marocain (partie 2/2)

Farid est un être protéiforme. 
Mouillés, nos corps glissent un temps l'un contre l'autre. Comme à son habitude, la peau du ventre de Farid sur celle de mon dos. La chaleur assèche assez vite ce jeu. Nos corps humides puis moites -- secs enfin, achèvent de se redécouvrir. Du coup, un peu à la hâte, les gestes redeviennent sexuels.
Et puis quoi ? Il est bien revenu dans mon lit pour ça, non ? Cette violence dont nous avons fait une règle de jeu -- un temps abandonnée -- vite ne suffit plus. Les mots rejoignent les gestes. Trois semaines marocaines ont transformé mon amant en bête sauvage.
Partir... Revenir... Les mouvements à la surface de ce globe sont une des caractéristiques les plus ancestrales de l'Humanité. Farid, en digne héritier de ses ancêtres, n'a pas échappé à cette règle, certes...mais revenu, il déserte !
Farid est un être protéiforme. Il n'est que l'addition composée de tous ces hommes aux corps et visages multiples, jalons d'une vie. Farid existe et n'existe pas. Présent dans mes rêves comme dans ma réalité. Il n'appartient à aucune de ces dimensions.

mardi 30 août 2016

01 - Boomerang marocain (partie 1/2)





Des semaines sèches, mornes, vides, à attendre que les plaies se referment enfin. Un souffle chaud du désert envahit les pièces de l'appartement plongé dans le noir caniculaire, occultées par des volets baissés. Ainsi les journées s'égrennent-elles, arides, désertes, lentes -- cet été.
Farid m'avait prévenu de son séjour estival au Maroc. Y retrouver ses origines, une partie lointaine de sa famille. Et cette grand-mère qui l'a tant façonné. Son retour, par contre, restait vague : "Un mois. Pas plus." Ce soir, la sonnette de l'appartement a déchiré la lourdeur noire des pièces. Un peu du soleil couchant est venu éclaircir l'entrée : retour de Farid, trois semaines et demi d'une insupportable absence.
Il fume une de ces cigarettes au tabac blond dont l'âcreté se mêle au parfum de sa peau talée de soleil. Quelques mots dans l'obscurité redessinent les limites de nos corps. Seule la braise incandescente de sa cigarette grave par instants les traits de son visage. Les lourdeurs de mon corps profitent de la nuit naissante. Les sueurs estivales s'alourdissent du poids du doute : mes 56 ans plaisent-ils encore ? Trois opérations depuis quelques mois m'ont démoli le peu de certitudes déjà péniblement amassées. Comme la cigarette à moitié se consume, une douche s'impose.
L'eau tente en vain de me convaincre que la lumière de la salle de bain n'est pas une ennemie. Sa fraicheur essaie de raffermir mes chairs. Le corps nu de Farid soudain obscurcit la cabine. Son sourire me redonne espoir. Ses mains me lavent. Leur lenteur me rassure. Nos envies de l'autre accumulées depuis des semaines exacerbent nos sens.
C'est tout mouillés que nos corps contrastent sur le blanc des draps. Farid a eu raison de refuser la serviette.

mercredi 8 juin 2016

03 - Bâtard !



Yopé orne mon obscur quotidien. Tel un tatouage, ses mots bleus me gravent la peau, lui donnent un sens jusque là méconnu. Nos souffrances lointaines et profondes, converties en plaisirs adultes, sont devenues des confidences nécessaires.







"Bâtard" ponctue généreusement nos phrases. Son verbe aussi. Nos mots comme autant de positions impudiques... autant de contre-pieds à nos fonctions sociales. Nos blessantes humiliations, parfaits échos à nos vies désespérées. Ici, la magistrale fessée. Là, le flot chaud de l'urine. Là encore, les liens serrés au corps.


Et les insultes. Et les crachats. Rien ne suffira à étancher nos peines d'enfants oubliés.

mercredi 25 mai 2016

02 - Violent !

Contrairement à mes espérances et aux pronostics de mon chirurgien, une troisième opération s'avère nécessaire. Cette pesante fatalité s'est muée en violence nécessaire.
 
 
D'abord, hurler ! Bien-sûr hurler. Ma colère.  Fébrile, je le devine, tapi dans ces fourrés, se pensant à l'abri des regards. Nu sans doute. La sente boueuse multiplie ma fébrilité, augmente ma rage. C'est lui qui paiera. Coupable nécessaire à ma douleur.

Mon dégoût ensuite. L'après-midi s'achève, l'endroit devenu désert. Sa nudité inutile me donne la nausée. En lope assumée, il m'attend là, de dos. Mes pas s'écrasent lourdement vers lui. Bande-t-il à les entendre comme une menace prometteuse ?
 
 
 

Ma haine le métamorphose en une chose béante. Il geint, minaude -- lamentations surjouées -- être devenu ma pute. Dans quelques instants, il me suppliera d'arrêter les coups. Sa vulgarité me rend fou.
 
Enfin mon sperme lui ferme les paupières que d'un doigt il tente de décoller. Plus un mot ne s'entend. Ni mon à la prochaine ! ni son sans problème quand tu veux. Les oiseaux de la forêt peuvent reprendre leurs chamailleries.
 
[ Contrairement à mes espérances et aux pronostics de mon chirurgien, une troisième opération s'avère nécessaire. Cette pesante fatalité s'est rapidement transformée en violence.]

vendredi 1 avril 2016

01 - Aimés



L’homme que j’ai aimé fut un havre. Bateau ivre, toujours apeuré des autres, différent, effrayé de cette différence. Eux ne sont pas moi et aucun ne sera miroir. Dans ses yeux s’étendait mon royaume, infini. Aujourd’hui encore, ces limites invisibles me rassurent. Incommensurable, nul n'a su l’arpenter, ni lui donner une mesure, encore moins le limiter. Mon royaume n'est qu'à moi. A ses portes, le bleu des pupilles des yeux de mon père garde son secret. Moi seul en savait les clés.


Les hommes que j’ai aimés scintillent encore. Falots dans mes tempêtes. Utilités aléatoires puisque les relier les uns aux autres ne m'a jamais permis de tirer aucun itinéraire. Juste un parcours illogique. Ou alors sa logique m’échappe. Ou alors je suis tout à fait fou. Ou alors enfant dans les yeux de mon père. Au monde, quoi !




L’homme que j’aime [Eric, il s’appelle Eric, je l’aime, Eric] a tout de mon père. Son âge à ma naissance. Son regard dans lequel je chevauche des contrées inconnues à brides abattues, rassuré de la brutalité de mes jours. Sa voix, le grain de sa voix aussi, qui façonne au monde un rempart qu'aucun ne s'aventurera à franchir.

vendredi 4 mars 2016

05 - Exquis prophètes

 
Dans un désert de sentiments, il est toujours de bons prophètes pour vous montrer les routes à suivre, vous guider...vous mener un brin de chemin, se pensant les mieux placés pour le baliser. Le plus compliqué, savoir faire la part des choses, est en fait un biais par lequel s'insinue la manipulation.
Au prétexte d'aider, sont proposées des solutions ubuesques. Rechercher en soi des réjouissances, s'affirmer comme seul coupable de son propre isolement. Faire sembler le monde propre, beau, encourageant pour mieux enfoncer la culpabilité. En gros, l'ésotérisme des propos seraient à l'origine des nuages qui obscurcissent mon quotidien.
Quand bien même fatigué de cette vie, je ne laisserai à personne le droit de s'y immiscer, à personne le pouvoir de la diriger. Si d'aucuns la trouvent idiote, absurde ou incohérente, peu me chaut. Aucun de mes amants n'est parvenu à la combler, seul maître de moi.

mardi 1 mars 2016

04 - Fuites

Prévisibles peut-être... en aucun cas attendues ! Autant de fuites en avant. Pitoyables. Chacun a bien son excuse : le travail, un emploi du temps trop chargé, une épouse collante. Chacun la voudrait juste. Toutes sonnent faux néanmoins.
Quatre mois de laides souffrances m'ont plus qu'enlaidi : désormais maquillé d'une couche de tain, devenu leur miroir, me voir les répugne. Rendez-vous sans cesse remis...une...deux...trois fois... Aucune toilette n'y pourra rien : le réflexe est trop ancestral. La défaite semble amère. Sonné, mon corps se cogne aux murs qui valent bien les cordes d'un ring imaginaire. Amère mais pas neuve, là encore d'autres plus anciennes lui font écho. Tant se sont enfuis déjà d'avoir eu connaissance du mogwaï* hébergé en moi. 

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mercredi 24 février 2016

vendredi 19 février 2016

04 - Farces

Emmuré dans un appartement pourtant familier, les places convenues se moquent de moi. Plus aucun mur, ni sol, ni plafond à leurs places. Dimensions éclatées, abolies, fantaisistes... Plus aucune gauche, ni haut, ni droite, ni bas. Les cadres pourtant si familiers (et donc rassurants puisque connus) se jouent de ma raison. Ni près, ni loin... Les distances galèjent. Même le temps joue à colin-maillard, la nuit souvent, enterré dans le noir trop profond de la chambre. Aucun repère ne m'ancre plus.
Dans ces vides écœurants, je flotte comme en apesanteur. Un regard cisèlerait ma silhouette. Une main sur ma peau me façonnerait une armure. Des mots suaves donneraient un sens à ce tourbillon absurde. 
 
Mais quoi ?
Rien.

samedi 6 février 2016

03 - Purgatoire

Un goût amer comme de la boue entre les dents. Après la dernière opération, censée mettre un terme à mon calvaire, une hospitalisation en urgence pour douleurs insupportables : un abcès a cru pouvoir trouver son bonheur dans la plaie ! La médecine y a mis bon ordre en quelques jours et me voilà rentré de nouveau chez moi. Des douleurs encore mais nettement plus acceptables et normales après de telles interventions ponctuent mes journées.
Beaucoup de repos, certes. Mais le physique exprime bien mal la solitude dans laquelle je suis plongé depuis début novembre. Ces blessures-là tardent aussi à se cicatriser. Elles ne sont pas les moins pénibles. Elles salissent mon image, boueuses, me roulent dans un fange immonde, souillent mon reflet aux miroirs.
Miettes... Il n'y aura guère que ça à tenter de récolter après toutes ces épreuves. Trouver encore quelques raisons de combattre, de s'accrocher à tout cela qui me constituait un univers, va encore compliquer et allonger ma convalescence. Être vraiment las de vivre n'est pas une posture d'intellectuel désœuvré.
Après ces trois mois et demi de traversée du désert, au creux d'une mare, on-ne-sait où, recroquevillé, honteux de solitude, je peine à me reconnaître. La Mort ne m'attend-elle pas au rivage qui me laisse ainsi croupir dans mes tristesses, purgatoire païen.
 

lundi 4 janvier 2016

02 - Choc : 13 novembre 2015 (partie5/5)



Peu après son opération, Monsieur-pas-tout-le-monde reçoit. Beaucoup et régulièrement. Toujours les mêmes messieurs aspergés de parfums trop musqués, le verbe haut. Leurs premières conversations me font comprendre que mon voisin de chambre donne des cours de religion dans une mosquée.

Chaque jour, donc, vers 14h00, une bande de six ou sept vieillards viennent palabrer dans sa moitié de chambre, autour du lit. Un bon quart d’heure, rarement plus. Au tout début, une sorte de suspicion s’immisce. On s’inquiète de la fumée et donc du feu…Et pourquoi toi, à ton âge, tu as ça, une maladie d’enfant ? Monsieur-pas-tout-le-monde tente de raisonner mais on sent bien qu’il n’ose pas pousser les choses trop loin. Du coup, les mots éclatent. Extraits :
Dieu t’a éprouvé… C’est Lui qui t’a fait subir cette épreuve ! Tu n’as pas de plaies ! Je l’ai échappé de justesse, heureusement qu’ils prennent bien en charge ici. Oui la médecine a fait de grands progrès mais c’est Allah qui décide de ton sort ! Sans Lui, pas de médecine ! Les docteurs sont bien et même mieux qu’avant, il y a eu du progrès, c’est vrai…mais si Dieu a dit...

Appositions récurrentes, Allahou akbar et Hamdoulah mitraillent leurs soi-disant conversations qui ne sont, en fait, qu’un vulgaire empilage de convictions sans idées. Puisque Dieu est Grand…à quoi bon penser ? Enfin seul, mon voisin ne gémit pas : il prie ! Quatre, cinq fois par jour, son Coran chuchoté derrière le rideau blanc. Dieu – ni le sien ni le mien – ne l’empêche de hurler sans pudeur sa douleur lorsqu’il a mal. Et il est sacrément douillet, Monsieur-pas-tout-le-monde : la moindre piqûre devient son cauchemar, comme la preuve athée que le monde n'a pas besoin de Lui. Quant à moi, j'émerge peu à peu de mes délires de morphine, les douleurs s'avérant supportables. Et dix jours durant, ce défilé affligeant de l'indigence religieuse a achevé de me convaincre (comme si, à l'aube de mes 56 ans, j'avais encore besoin de l'être) que l'obscurantisme est décidément bien un ennemi complexe. Pas rancunier, lors de ma sortie, je lui ai souhaité un prompt rétablissement. Mon demi-sourire se voulait ironique mais je ne suis pas certain qu'il l'ait interprété de cette façon.

Sorti de l’hôpital en milieu d’après-midi, le vendredi 13 novembre 2015, la soirée et la nuit m’ont rappelé que certains n’admettent toujours pas que ce monde fonctionne sans leur Dieu… Un demi-sourire y suffira-t-il ?