dimanche 20 décembre 2015

07 – Choc : Monsieur Toutlemonde (partie 4/5)



- Non !...pas quistion de partager…je vi être seul !
Le type qui profère ça n’est pourtant pas en position de discuter : il est sur un fauteuil, poussé par un infirmier. Poli, il fait semblant de se renseigner, revient en prétendant qu’on s’arrange pour lui trouver une chambre dans la journée.
Jour 3. Sur les onze heures. Le monsieur qu’on vient d’allonger sur le lit d’à-côté exige que le rideau de séparation qui coupe la chambre en deux soit tiré. Il faut que tous sachent qu'il a mal. Deux infirmières tentent de le déshabiller mais quittent la chambre en lui intimant l’ordre de passer la blouse réglementaire dès qu’il aura ôté le reste de ses sous-vêtements.
Il s’agite. Tout semble un problème pour lui : l’auscultation de son corps, leurs questions, leur thermomètre, leur prise de tension, la prise de sang l’inquiète… Il répond aux questions posées : commercial, douleur dans le bas-ventre depuis deux jours, Doliprane puis sa main pour soulager, insoutenable ce matin, urgences…
- Appendicite aigüe, monsieur, ne vous inquiétez pas, on sait réparer !
- A mon âge ? C’est pas normal, toubib !
Je ne perçois pas la réponse dans mon demi-sommeil comateux sous morphine…Le « toubib » ne répond peut-être rien ? Ou alors lui explique d’un haussement des épaules que ça arrive à tout le monde ?
Il n’a pas l’air d’être « tout le monde »... Il marmonne…marmonne…marmonne encore… De temps à autre, il gémit. Je veux dire, fort, dans la chambre, sans retenue. Le rideau  qui nous sépare, mon enlisement morphinique déforment sans doute mes perceptions... Rejeté... Pourtant là, né au monde à peu près en même temps que lui... Sur les dix-huit heures, un jeune homme, fin de vingtaine, pousse la porte, s’indigne aussi que la chambre ne soit pas individuelle. Revient avec la même fausse promesse d’en avoir une dès qu’elle se libèrera.
Certes pas « Monsieur Toutlemonde », le 462cc.





samedi 12 décembre 2015

06 – Choc : C17H19NO3 (1) (partie 3/5)

Une autre respiration. Des lanières plus noires déchirent la nuit. Ma mémoire s’englue…Entre Morphée. Des volets ouverts éclairent une pièce sans meubles, où je suis. Des bruits de couloir. Assourdis et étrangers. Comme Trachis s'éloigne, une vague scélérate se dresse soudain. Par la fenêtre éclairée de la seule lune, une étoile me rassurerait. L'étoile ne sert plus de rien. Ni à personne.
Cette lente respiration étrangère... Alcyone visitée... Serait-ce mon époux revenu à la vie ? Volerons-nous enfin au ras des flots marins ? Ce Néant qui m'emplit les poumons gagnerait-il ma vie ? La peur du danger m'achève. A genoux, je hurle ma frayeur. 
La porte déchire la nuit de la chambre. Entre Alcyone : N'hésitez pas à appuyer sur la pompe(2) si vous avez trop mal.



 



1) C17H19NO3 , formule de la morphine utilisée pour atténuer les douleurs du corps.

2) La « pompe à morphine », branchée aux autres transfusions, s'actionne par la simple pression d'un doigt sur un bouton. Le patient la commande. Elle est programmée pour ne délivrer qu'une certaine dose de morphine.


Nota Bene : Céyx et Alcyone : couple de la mythologie grecque. La noyade de Céyx est annoncée par Morphée à Alcyone dans son sommeil.







Morphée et Iris de Pierre-Narcisse Guérin (1811)