lundi 30 avril 2012

53 – En avril, …

...ne te découvre pas d'un fil. Pourtant, je me sens dénudé. Che-Nen vient de fêter ses 38 ans. Et tant d'autres encore, vivant, eux, malgré la proximité des commémorations. En avril, vieux papy croulant, blanchi, chenu, en larmes au pied d'un monument vert-de-gris.


...ne te découvre pas d'un fil ! Dépiauté, pourtant ! Che-Nen parti, Bruno mort. Tant d'autres à l'appel de leur nom, qui ne répondront plus... En avril, ses silences-là couvrent encore leurs babils sibyllins. En avril, sourd aux brouhahas du monde, plongeon printanier dans les tréfonds abyssaux de ma mémoire.



...ne te découvre pas d'un fil. Ces innocents joueurs de cartes, nimbés d'odeurs tiédasses de bière, qui occupent cette table de bistrot... si jeunes, bruyants centres de leur minuscule univers, ignorants des enjeux titanesques qui se sont joués à ces mêmes places, vingt plus tôt. Bārākh habbā.

mercredi 25 avril 2012

26 – Patience de Maki

La patience, aux dires des Hommes, serait une vertu ? Ce qui sous-entend que, d'en user, apporterait un bénéfice ou, pour le moins, éviterait une erreur ? Foutaise ! Que l'on patiente ou pas, les choses se passent tel qu'elles devraient se produire. Patienter, ça donne bonne conscience mais n'influe en rien sur le cours des évènements.
p183
Maki, après dix jours d'un silence mortel, moque mon impatience. Le ton est amusé, se veut drôle quoiqu'il ne me fasse même pas sourire. Durant ce silence, j'ai décroché les icônes, déboulonné les statues, dépendu les voiles imprimés malgaches. Il ne le sait pas.
p185
Alors il poursuit son récit. Déjà je ne l'écoute que distraitement. Pourquoi être patient ? Je sais d'avance par quoi va se terminer cette communication. Il brode, recoupe mal ses mensonges, ne s'en aperçoit même plus. La traditionnelle demi-heure touche à sa fin : « Tu aurais un petit sou pour moi ? ».
p184

samedi 21 avril 2012

25 – Les silences du désert

[…] Bambou
dans tes yeux absents se dévoilent
p180Bambou
des fièvres aux moiteurs tropicales
Bambou
quand tes pupilles se dilatent
Bambou
l'eau trouble des étangs s'y miroite

la saison des pluies est passée
Bambou ne pleure plus
elle s'est vite consolée
tous les silences de Bambou
hurlent dans ma tête et me rendent fou […]
Serge Gainsbourg, 1981, Amour, année zéro



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Il se tait depuis si longtemps que seuls les vents raisonnent encore, porteurs de peu de chaleurs. Tant de déserts conquis, tant de lacs franchis, en vain ! Quelle utilité ces atlas tracés si la moindre croisée me désoriente ?






« tous les silences de Bambou hurlent dans ma tête et me rendent fou »
p182

mardi 17 avril 2012

20 - 梦 (mèng)

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Une plage. Des corps nus. Dont le mien, semble-t-il. Le paravent des corps, aisé, pratique, commode. S'exposer, cacher. Le regard inquisiteur glisse, rebondit, ricoche sur la surface attirante de la peau. Deux mois pour justifier cette insane volonté de vivre quand même. Malgré les Carmello, les Stéphane et tous les cons aux regards assassins.


p175Cette plage-là, bretonne, pansa mes peines. Fréquentée jadis dans les bras jeunes d'anciens amants d'antan, elle fut une rade accueillante. S'y reposer le corps et l'esprit d'y voguer. Ici, tout s'accepte. Affaissement des frontières. Extinction des limites. Ou le contraire ? La Réalité se mue en Rêve. Ou le contraire ?

p176Ses yeux me détaillent. Me veut-il ? Ses mains aventureuses rassurent mes craintes. Ses doigts salés caressent mes outrageantes cicatrices. M'a-t-il eu ? Nos corps – de nouveau disciplinés – acceptent les vagues comme autant de vaines promesses. Séparés, plus jamais leurs chemins ne se croiseront. Que nous importent les directions ! Elles traceront de toute façon un monde visible, préhensible, admissible.
En cette fin d'après-midi d'août 2006, mes yeux clignent face au soleil déclinant. Entre lui et moi, cet homme qui pense que je le regarde. Je reposerai ma tête dans un soupir de négation. Le rêve peut se dire [mèng] en Chinois :
rêve (mèng)

24 – Calomnies

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Après de longs silences, la voix de Maki résonne à nouveau. Elle évoque de bien belles choses passées : nos rires, nos jeux, nos soupirs, nos attentes. Mais y'a comme un creux. Ça sonne creux.







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Que se passe-t-il donc ? Tenter par tous les moyens de remonter la pente. S'agripper à tout prix. Croire que ce qui s'entend reste vrai. Le creux se déroule en écho. De ceux qui percent les tympans.







Alors replonger la tête dans l'eau, retenir sa respiration. Revenir à un état d'embryon. Là où tout commençait. Là où tout était encore possible.
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dimanche 15 avril 2012

25 - Birthday

11 avril 1997
 
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"Daddy's flown across the ocean
Leaving just a memory
A snapshot in the family album
Daddy, what else did you leave for me?
Dad, what you leave behind for me?"

Roger Waters - Another Brick in the Wall Part 1

jeudi 12 avril 2012

19 - 碰钉子 (pèng dīng zi)

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Halètements excitants, dos noueux, fessier tendu : tout chez lui chassait la morosité que m'imposait le mogwaï. Une fois la capote jetée, c'est lui qui a voulu mon 06. Deux jours après, Stéphane évoquait déjà notre future vie commune ! Ne pas mentir aux autres ni à soi – une règle enseignée par Carmello.







streap



Donc la semaine suivante, la sonnette de l'appartement retentit. Café, petits gâteaux, musique de fond : tout est prêt pour lui assener la nouvelle. « J'ai quelque chose à te dire » : le beau Stéphane m'a écouté jusqu'à cette phrase fatidique. Après, mes mots n'avaient plus vraiment d'importance car il ne les écoutait plus.









rangPoli, en silence, il a attendu la fin de notre conversation. Vers 17h00, a pris congé, a promis de réfléchir et de me rappeler le lendemain. J'attends encore. Bien-sûr. Evidemment. Une fois la porte refermée, affalé, terrassé, étendu nu sur le sol. Oublier tous ces cons qui vous claquent les portes au nez, vous enferment dans des prisons bien plus pénibles. Ceux qui vous exilent des rangées bien alignées de leurs cohortes de bien portants.


Essuyer un refus peut se dire [ pèng dīng zi] en Chinois :
碰钉子 pèng dīng zi

vendredi 6 avril 2012

32 – Malpoli !

p171
Peut-être la fin d'un hiver trop dur ? Ou alors le week-end après une rude semaine ? Quelle qu'était la raison, ça oui, j'étais excité ! Surexcité, énervé même ! Sauter d'un coussin l'autre, parler fort, hurler de rire... Du haut de mes neuf ans, j'agaçais mon monde en cette fin d'après-midi de mars 1969.

visiteA commencer (mais sans doute était-ce la vraie raison) par ma sœur qui, ce samedi-là profitait de l'absence de nos parents pour flirter avec son petit ami. Le Daniel en question, hypnotisé, magnétisé, obnubilé par – je suppose – les promesses de ma sœur, m'ignorait (et sans doute était-ce la seconde bonne raison).
Un coupable, y en a-t-il un, seulement ? Amoureux éconduit ? Enfant énervant ? Les plis des draps servaient de montagnes à mes soldats. Une bataille faisait rage que j'allais remporter... Une ombre dans l'encadrement de la porte. Son corps s'est appesanti sur le mien. Les petits soldats, inquiets, silencieux, s'étonnaient de ce souffle rauque qui enveloppait mon cou, stupéfiés par tant de dureté.

« Tu pourrais dire au revoir au moins, malpoli ! ». Ma sœur hausse les épaules face à mon entêtant mutisme. Est-il jamais revenu ? Possible. Je crois surtout qu'il n'a jamais quitté ma mémoire. Mais pourquoi donc faut-il rester poli quand on se sent sale ?
p170