lundi 25 mars 2013

75 - Labyrinthe






25 jours. Rien ne passe. Rien.



Errer, vagabonder, divaguer, délirer : mes seules options dans le champ des possibles où je me perds. Chaque fin d'après-midi passée à arpenter de nouveau cette même route – alors sous la neige en janvier 1991 – jadis empruntée pour nous isoler du monde... n'être qu'à nous deux, seuls au monde.. Ou encore celle-ci qui chemine parmi les remparts de Maubeuge, qui mène à cet escalier dans lequel nous... Seul le froid idiot de cet hiver trop long m'interdit de m'allonger sur ce coin d'herbe, caché de tous, où nos corps se soudaient.





Divaguer comme un chien malheureux, hurlant de sourdes douleurs – paré à accepter toutes les avilissements pourvu qu'ils me distraient de ces routes du souvenir. Là, partout, où mon regard espère un soulagement du fardeau, l'ombre de Che-Nen façonne le décor telle une obsession obsédante.




André* me soufflait dans un message en forme de condoléances – maigre mais nécessaire consolation, (merci mon ami) – combien mes mots traçaient un labyrinthe compliqué à suivre. Seuls mes maux m'égarent.


* Cliquez sur le mot pour ouvrir le lien.



dimanche 17 mars 2013

73 - 返航

La tête de Che-Nen à l'embrasure, l'air mutin. A peine entré, vautré sur le canapé du salon. Nu. Son corps tressaille, les deux mains au visage. Il rit. Comme je me penche, de ses yeux noirs perlent des larmes silencieuses. Les capter d'une lèvre avant qu'elles n'expriment totalement leur tristesse. Trop tard, son corps déjà froid me glace.


L'eau brûlante de cette douche saurait-elle, pourrait-elle, devrait-elle anesthésier ma douleur, éloigner de ma mémoire le danger ? Pourquoi ce corps dans mon salon ainsi offert tandis que son cadavre gît à Ishigaki-jima ! Soudain, une ombre s'étale sur mon visage. Che-Nen se penche sur moi. Me parle-t-il ? Ses lèvres silencieuses miment des mots. Du Chinois, me semble-t-il mais je ne parviens pas à l'interpréter, les tons manquent. Ce visage vide, sans sons, sans éclats, décoloré -- m'effraie. Mais pourquoi ce rire soudain, surprenant qui n'éclaire rien.



La main de l'hôtesse secoue mon épaule avec tact. Le vol AF291 – attrapé à Kensai International, Osaka à 12:16 hier– entame son approche sur Paris. Assoupi au creux du siège, indifférent aux autres, je sors de mon cauchemar. Paris est vraiment laid sous la pluie. Ou je n'ai pas envie de voir la beauté des choses. Après la douche – une vraie cette fois – , le rêve me revient et m'effondre au lavabo... Lui aussi aurait apprécié ce voyage de retour. Aux origines. Vers les siens.







Faire le voyage de retour, regagner le port peut se dire [fǎn háng], en Chinois : 


samedi 16 mars 2013

72 - 墓地に石垣市


L'intolérable et l'inadmissible, deux jumeaux inséparables. Le quotidien se plie mal à leur âpreté. Eloigner la douleur, l'extirper de soi, un travail nécessaire pour survivre. Le monde n'y gagnera qu'un peu plus d'absurdité après tout.

L'absence de son corps aggrave l'effort. Lui trouver un lieu tranquille. A l'écart de ces grands chambardements du monde auxquels Che-Nen s'est sacrifié. Lui rendre le repos dont il a manqué. Mes yeux contemplent le lieu choisi : un coin de cimetière de Ishigaki. Non loin de la route, entouré d'herbes folles au vent, l'océan au loin. Un vent chaud – digne de le réveiller puisqu'il dort ? – me donne le courage nécessaire pour lui tourner le dos enfin.

Là, je le sais heureux, enfin. La route s'ondule de larmes, je l'évoque une dernière fois. Ici, je le sais en sécurité, dans ce cimetière d'Ishigaki. Je peux enfin, à mon tour, rejoindre l'autre rive. Le laisser seul à sa paix retrouvée. Et l'aimer, l'aimer, l'aimer, l'aimer, l'aimer, l'aimer toujours...


Dans le cimetière d'Ishigaki, en Japonais :  墓地に石垣市¸ [Bochi ni Ishigakijima]

mercredi 13 mars 2013

71 - 重温旧梦

Peu à peu, mes nuits se métamorphosent en champs de batailles. Au-delà de mes paupières pourtant apaisées, d'antiques monstres se massacrent pour les plaines de ma mémoire. Ici, un père punit son fils – tous deux ont les traits de Che-Nen, l'un jeune, l'autre pas. Un fils resté inerte, pétrifié par tant de sauvagerie déployée. Là, un amant – cher à mon cœur – massacre cruellement le visage d'un autre, et rit en se tournant vers moi qui l'admire. Plusieurs, aux masques de cire blanche, profitent de leur anonymat pour torturer Che-Nen. Néanmoins identifiés – untel, à la noirceur de sa tignasse...ou lui, à cette cicatrice pubienne...ou cet autre encore, à son sourire carnassier – leur ignominieuse besogne se poursuit, assurés qu'ils sont de leur impunité.


De quel droit ces souvenirs déferlent-ils ainsi, en hordes barbares ? De quelle loi pensent-ils être les défenseurs pour hurler ainsi ces haines sauvages ? Quelles jalousies les poussent à salir la mémoire de Che-Nen ? Au milieu de la nuit, en sueur, je les chasse, haletant. Ils se calment mais restent là ! J'ai les yeux bien ouverts pourtant ! Ils profitent de l'encre de la chambre et ourdissent quelques nouveaux plans en catimini.
La dépouille de ce pauvre Che-Nen, à mes pieds – humiliée, disloquée, sans âge – gît. De plomb, ses traits semblent sereins. A lui aussi, on a cousu les paupières. Ses lèvres exsangues suggèrent un triste sourire. Les miennes – au contact des siennes – ne lui redonnent pas vie. Une rage à mon cœur me crie vengeance de nos pères et nos amants. Un geste vers eux...et Che-Nen déjà s'éloigne.

La lumière ni la voix rassurante de mon amant n'assèchent mes larmes. La nuit, roche tarpéienne, se délite définitivement avec l'eau fraiche qu'il me fait boire.


S'abandonner à rêver du passé peut se dire [chóng wēn jiù mèng] :

samedi 9 mars 2013

69 - Archipel








Treize jours. Quelqu'un me dit que cette sorte de fêlure jamais ne se referme ou si mal que la plaie bée sans cesse, insolente insulte quotidienne. Treize  jours que cette permanence de la douleur me statufie. Que mes larmes dévalent mes joues pétrifiées. Quatorze, demain. Quinze ensuite. Mardi, seize.








Chaque jour, une île ? Mes nuits, la distance parcourue pour les rejoindre. Cet archipel de peines abriterait-il quelque havre de paix où enfin asseoir mon malheur ? Le poser. Qu'il devienne enfin un objet. A moi, étranger. Que je puisse enfin l'observer -- navré, certes -- mais spectateur enfin !