5
ans : de l'autre côté de la vaste cuisine, l'homme me relance l'avion à
friction que le Père Noël a déposé au pied du sapin dans la nuit. Il
est en tricot de corps blanc ligné. Ses muscles saillent à chaque
mouvement de son bras. S'entrevoit une touffe confuse de poils sous son
épaule. Quand je regarde ma propre aisselle, il n'y a rien. Absence. Manque. L'image s'évanouit. Ne persiste que cette odeur âcre, saveur salée.
8
ans : au bout du couloir, l'homme dans le lit m'interpelle. Son torse
nu m'attire. Une odeur sucrée de rhum se mêle à celle du café. Assis sur
le bord du lit, je l'écoute. Mon regard vif court de ses lèvres à ces
poils qui couvrent son torse. Ils me fascinent. Sa voix grave
m'impressionne. Il me fascine.
15
ans : pour accéder aux toilettes, il me faut traverser la salle de
bain. Une envie pressante me précipite sur la porte close. Il est devant
le lavabo, pantalon baissé. Ses fesses blanches accentuent le sillon
noirâtre qui les séparent. Dessous, une poche de chair – lourde, massive
– tangue, prolongée vers le bas d'un sexe épais qui m'impressionne.
Mon
excitation est à son comble lorsque ces trois souvenirs raisonnent dans
ma mémoire. Une pudeur pourtant m'en empêche de déclencher le désir.
Cet homme était mon père.
Photo extraite de la collection « père et fils » de Grégoire Korganow.