vendredi 31 août 2012

43 - Pudeur (partie 3/3) : trois souvenirs

aisselle



5 ans : de l'autre côté de la vaste cuisine, l'homme me relance l'avion à friction que le Père Noël a déposé au pied du sapin dans la nuit. Il est en tricot de corps blanc ligné. Ses muscles saillent à chaque mouvement de son bras. S'entrevoit une touffe confuse de poils sous son épaule. Quand je regarde ma propre aisselle, il n'y a rien. Absence. Manque. L'image s'évanouit. Ne persiste que cette odeur âcre, saveur salée.


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8 ans : au bout du couloir, l'homme dans le lit m'interpelle. Son torse nu m'attire. Une odeur sucrée de rhum se mêle à celle du café. Assis sur le bord du lit, je l'écoute. Mon regard vif court de ses lèvres à ces poils qui couvrent son torse. Ils me fascinent. Sa voix grave m'impressionne. Il me fascine.
15 ans : pour accéder aux toilettes, il me faut traverser la salle de bain. Une envie pressante me précipite sur la porte close. Il est devant le lavabo, pantalon baissé. Ses fesses blanches accentuent le sillon noirâtre qui les séparent. Dessous, une poche de chair – lourde, massive – tangue, prolongée vers le bas d'un sexe épais qui m'impressionne.
Mon excitation est à son comble lorsque ces trois souvenirs raisonnent dans ma mémoire. Une pudeur pourtant m'en empêche de déclencher le désir. Cet homme était mon père.
pere et fils





Photo extraite de la collection « père et fils » de Grégoire Korganow.

mardi 28 août 2012

42 - Pudeur (partie 2/3) : le genou

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Jamais un mot vulgaire, ou alors inclus dans une plaisanterie. Aucun regard insistant non plus...sauf lorsque nos visages s'enlaçaient langoureusement. Pas de remarques désobligeantes sur nos rituels quotidiens, si ce n'est au début pour accorder nos violons.



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De même, son refus obstiné de se mettre nu à la plage. La rigidité des nombreuses pudeurs de notre relation la rendaient souple, légère. Gangue de manies par nous seuls comprises, elles nous protégeaient. Des autres. De nous-mêmes. Parfois, pour nous moquer de nous, le vouvoiement s'imposait. Il devenait alors « Baronne », moi « Baron ».
Parmi tous ces tics : le rituel du genou. Né de notre première rencontre, ma main sur son genou pendant que je conduisais est vite devenue un réflexe indispensable. Juste posée, ni graveleuse. Rassurante : elle concrétisait le lien ténu de notre union.
Depuis ce 26 février 2012 où Maki initia notre rupture, de toutes ces habitudes, aucune ne survécut. Pas même le simple contact poli de ma main sur son genou. Je n'ose pas remettre ma main sur son genou.
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vendredi 24 août 2012

35 – Substitut

Pour la première fois de ma vie, un homme – outre mon père – posait sur moi un regard dénué de toute concupiscence. Délivré de cette obligation de plaire, ma parole – d'ordinaire si futile – devint subtilement sensée. Chacun des mots – inconscientes bulles – de mon récit semblait entr'ouvrir une porte jusque-là désespérément scellée.
freud
Tentative désespérée d'expliquer en moins d'un quart d'heure plus de vingt-neuf ans d'une vie illogique, absurde, absconse. L'urgence imposait l'impossible. La répétition faisait sens : trop de malaises succédaient aux malaises. Le quotidien, improbable chaque jour, devenait peu à peu ingérable.

pere et fils2Un souffle vient briser ce long silence du fou : père.
- Père !
- Pardon ?
- Le père est absent de votre discours ! 



jeune homme nu assis
De cet instant, identité et sexualité s'élaborèrent lentement, séparément, au long des trente minutes de consultation hebdomadaire, dix ans durant. Devenir n'a pas été une sinécure mais une lente conquête. A la mort de mon père – dix ans plus tard – notre relation médicale, amicale, s'éteignit elle aussi. Logiquement.

41 – Pudeur (partie 1/3) : nudités

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A marée haute, la plage se réduit à une portion congrue. Peau de chagrin en ce week-end du 15 août ! La faune nantaise régionale s'y donne rendez-vous, patchwork informe de corps nus, d'odeurs variées. Quelques vaines exclamations affectées rivalisent avec les pleurs des goélands planant dans l'azur, au frais.

Surprise : à peine allongé, une ombre se penche sur ma figure, trouble mes paupières closes... Yopé et G........ ! Leur week-end à Noirmoutier coulé, échoués involontaires, ils m'invitent à rejoindre leurs serviettes. Choisir avec goût les mots. Retisser un lien lâche depuis son départ. Ne plus se savoir seul au monde rassure l'homme de 52 ans qui pleure si souvent dans mes miroirs.
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« Alors.... ??? », me demande Maki, le lendemain, l'air graveleux. Et alors quoi ? Ben...rien ! Rien vu, rien comparé, rien maté ! Comment lui expliquer que les émotions nous ont vêtu du voile le plus pudique qui soit : la nudité.

mercredi 8 août 2012

40 - Langueurs énervantes

grec








D'abord, des mots. Mais tellement mal orthographiés ! Comment ne pas penser qu'il ne veut faire aucun effort ? Et puis, d'autres mots évasifs, imprécis. Comment ne pas imaginer sa trop faible envie de me revoir ?




baskets1 


Pour combler le tout, cette propension maladive à ne jamais répondre dans l'immédiat. Toujours attendre très tard voire même le lendemain. Il sait que l'attente me tue. Il joue de ces langueurs. Le haïr serait-il donc la seule fin possible ?


Me cacher derrière une image la plus neutre possible. Sembler courtois, toujours. Rester poli, à chaque échange. Lui demander si venir serait une bonne idée n'a pas été une bonne idée.
fringue

dimanche 5 août 2012

31 – The unwise girl

« A wise girl kisses but doesn't love, listens but doesn't believe, and leaves before she's left. »

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Marylin Monroe (01 juin 1926 - 05 août 1962)

vendredi 3 août 2012

34 - Oripeaux

pianoQuelques notes de piano comme elle les aimait m'entendre jouer. Devenir musicien pour elle. Ou acrobate. Ou menuisier. Ou potier. Ou écrivain. Ou moi-même ? L'enfance s'égare souvent dans le champ des possibles.
Juste avant de partir à la plage, le téléphone retentit. La voix grave de mon père me demande de rentrer au plus vite. Août 1985, mes 24 ans ordinairement s'écoulent dans une Bretagne immuable. Seul cela restera, n'est-ce pas ? Ni les gens, ni les animaux, tout se finit. Ni les souvenirs que le temps transformera peut-être en vestiges si le hasard s'en mêle ?
livresLa peur me saisit soudain. Bien-sûr des larmes voilent mon regard mais cette main... Cette main tantôt caressante, tantôt hargneuse... Là, ridée, froide, molle. Ses ongles un peu jaunes me grattent la paume, légèrement, amicalement, tendrement. Elle meurt mais encore tente de consoler l'enfant.
Peu à peu, ses yeux s'éteignent. Elle accepte, soulagée d'un monde douloureux mais angoissée de m'y laisser seul. Partie, elle me devine nu comme un ver, exposé. Comment faire ? Retourner les dangers. Exposé ? Non ! Ouvert. Offert au plus offrant. Amèrement, l'adulte dépiautent les oripeaux de l'enfance.

dormir8