mardi 28 avril 2015

10 - Lettre n°7




 (1) Bien plus tard, lorsque mon fils aura à gérer son divorce involontaire, au plus profond de nos conversations, je pense être parvenu à lui faire comprendre qu'exister pour soi est un principe de vie essentiel.





                                           Lettre n°7
                                              de B......., le 22 mai 1999.


                              Papa,

Durant mon enfance, je n'ai rien dit : je ne savais pas.
Après, je t'ai certes reproché beaucoup de choses mais tu savais -- et je sais aussi maintenant -- que ces choses-là relevaient plus du "j'existe" que de la réalité.
Aujourd'hui, un seul reproche persiste, deux ans après que tu sois parti : tu as oublié de me dire à quoi ça peut bien servir d'être là, de rester là, à la surface de cette Terre.
Je vieillis moi aussi. Et à 39 ans, je me sens inutile. Je veux dire : je ne sais pas à quoi je peux bien servir. Aux autres, je ne doute pas avoir une utilité. Le problème viendrait plutôt à moi-même.
Je ne sais pas à quoi je sers à moi-même. Je me sens vide. Vide de sens, d'émotions, d'impressions. Je suis heureux parce que quelque chose de l'extérieur à moi-même me rend heureux. Idem pour les autres sentiments, contraires ou connexes à la joie. Mais je n'existe pas à moi-même, pas en moi-même : je n'existe que grâce aux autres. Dépendre des autres est extrêmement pénible.
Et là est mon reproche : tu ne m'as jamais appris comment je devais faire pour être pleinement empli de la certitude d'être pour soi quelqu'un. D'en être empli au point d'en oublier le fait même de l'être. L'angoisse qui m'étouffe, comment y échapper ? Je me dis alors qu'avec ton petit-fils, qui aura 11 ans cette année, je ne commettrai pas le même oubli (1).

                                                               A très bientôt, ton fils.















2 commentaires:

André a dit…

Une question sincère, pas une attaque: comment peux-tu expliquer à ton fils ce que tu ne connais pas?

Guy Zulma a dit…

(Aucune critique n'est à considérer comme une attaque.)
Ce que j'ai connu, c'est la viduité intérieure : une sorte de sensation de n'exister que grâce aux autres, jamais par soi-même. Je ne parvenais pas à trouver en moi-même des raisons suffisantes d'exister. Vouloir absolument être l'objet des concupiscences masculines me permettaient de poursuivre mon chemin. Un qui me tournait le dos et le drame s'installait en moi (depuis d'ailleurs, je ne supporte plus les portes qui claquent, les départs et les dos m'hypnotisent encore...).
Ce que je crois être parvenu à faire comprendre à mon fils, c'est qu'il n'était vraiment pas sain de vivre ainsi, en toute dépendance des autres.
Bien entendu, cette dépendance à l'Autre renvoie à une impossibilité à retenir celui qui part. Je veux ici parler de mon père fuyant sa place ; du sur-rôle obligé de ma mère(qu'elle n'a d'ailleurs jamais su tenir).