Je
suis allé à Maubeuge cet après-midi. Garé pendant trois heures, non
loin de là où je sais que son père habite. C'est un vieux monsieur,
désormais,très petit, beau avec une magnifique chevelure blanche. Il
trotte encore très bien. Je lui donne dans les 90 ans, un peu moins sans
doute. Honorable vieillard.
La
première fois que je l'ai vu, remonte à 1991. Durant le printemps. Il
avait encore des cheveux noirs, comme ceux de son fils. Plus tard je me
dirai, le croisant en ville, que Che-Nen lui ressemblerait un jour. En
ce printemps 91, il m'a même adressé une fois la parole : il était monté
dans les remparts un dimanche après-midi que j'y étais aussi, espérant y
rencontrer Che-Nen qui déjà commençait à m'éviter régulièrement. Il
cherchait son fils et me demandait si je n'avais pas vu un garçon,
petit, dit-il en me désignant de ses doigts la hauteur de son épaule ?
Ce jour-là, j'ai failli lui sourire avec sympathie et lui avouer combien
j'aimais son fils à la folie...Il était accompagné par Laurent, grand
frère de Che-Nen ai-je appris plus tard. Il avait l'air sévère, dur,
celui-là : j'ai toujours pensé qu'il avait lu dans ma réponse négative
que je connaissais bien son petit frère. 

Bien-sûr
que j'ai su tout de suite que c'était son père. Ils avaient exactement
le même regard sombre, infiniment abyssal. La même manière de se bouger
le corps lorsqu'ils marchaient. Une telle ressemblance physique ne m'a
qu'à moitié étonné et j'ai compris instinctivement pourquoi ces deux-là
se battaient. Ils étaient trop évidemment de même complexion pour
supporter chez l'autre de contempler son opposé.
J'ignore
aujourd'hui s'ils se sont réconciliés. L'un resté à Maubeuge. L'autre
exilé volontaire en Corée du Sud, à quasi égale distance de Tokyo et de
Beijing... un peu comme s'il n'était jamais parvenu à choisir vraiment
entre les deux parts de lui-même. Ce vieux monsieur aperçu cet
après-midi, enfin, au bout de trois heures d'attente, je n'ai pas osé
l'aborder. Lui demander des nouvelles de Daegeon. Mais j'ai été heureux
de le voir. Nos regards se sont croisés et c'est comme si j'avais revu
Che-Nen.
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