Le
même froid qu'à ce jour. Au sein d'un hiver sans nom, le quai de gare à
tous vents me fige les os. Il descend du wagon, habit kaki, rangers
noires. Ses extraordinaires cheveux raides longs et noirs lui ombrent
désormais le crane. Il revient d'Allemagne, une permission rare qui me
le rendait précieux.
Les
volets empêchent le monde de nous divertir. Au sol – repus, allongés,
enfin détendus – à nos côtés, deux ou trois bougies éclairent nos
différences. Autour d'un jeu de cartes qui ne nous distrait pas, nos
gestes maladroits trahissent mal l'impatience que cette soirée s'achève.
Secrètement, lui et moi espérions que la nuit commençât enfin. Longue
attente de nos fatigues.
Je
ne sais plus qui – lui sans doute – s'avoua vaincu... Ce soir-là de
janvier 1981 s'inscrit à jamais dans une Antiquité des souvenirs.
Lumières éteintes, oui ça, c'est sûr. Lourdes couvertures épaisses
aussi. Nos corps nus écrasés sous leur poids. Le noir total, mon cœur
s'emballe – boum-boumboum-boum – dans le froid silence du studio.
Lui
se penche sur moi. Premier baiser – enfin ! – si fantasmé depuis mes 16
ans ! Nos peaux lissent l'une sur l'autre, un délicieux désordre
maladroit s’installe qui réordonne – toujours, les premières fois – le
lit. Au réveil, Pierre-Marie pose sur nos draps le plateau du
petit-déjeuner. Dans cinq heures, son régiment me le réclamera. Eperdus,
égarés dans nos vingt ans, cette toute première nuit partagée, volée à
nos éducations, n'a pas survécue -- sinon dans ma mémoire -- aux
soubresauts de leurs menaces. Recroquevillé sur moi-même, le regard au
dessus de l'épaule gauche, je scrute avec hantise un passé qui me
mordrait les fesses. Si le même hiver et le même froid, les mêmes volets
hermétiquement clos, savent réduire trente années d'errances en un
souvenir d'une fraction de seconde, alors le train en provenance de
Karlsruhe ne devrait pas tarder à entrer en gare, n'est-ce pas ?
J'attends donc, le corps encore gelé -- mais les yeux clos dans le noir
de cet appartement de 2013 -- qu'il ne bondisse sur le quai, habit kaki
et rangers noires. Pierre-Marie, ce soir, me manque cruellement.

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