lundi 18 février 2013

43 – Permission 81

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Le même froid qu'à ce jour. Au sein d'un hiver sans nom, le quai de gare à tous vents me fige les os. Il descend du wagon, habit kaki, rangers noires. Ses extraordinaires cheveux raides longs et noirs lui ombrent désormais le crane. Il revient d'Allemagne, une permission rare qui me le rendait précieux.


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Les volets empêchent le monde de nous divertir. Au sol – repus, allongés, enfin détendus – à nos côtés, deux ou trois bougies éclairent nos différences. Autour d'un jeu de cartes qui ne nous distrait pas, nos gestes maladroits trahissent mal l'impatience que cette soirée s'achève. Secrètement, lui et moi espérions que la nuit commençât enfin. Longue attente de nos fatigues.



p313Je ne sais plus qui – lui sans doute – s'avoua vaincu... Ce soir-là de janvier 1981 s'inscrit à jamais dans une Antiquité des souvenirs. Lumières éteintes, oui ça, c'est sûr. Lourdes couvertures épaisses aussi. Nos corps nus écrasés sous leur poids. Le noir total, mon cœur s'emballe – boum-boumboum-boum – dans le froid silence du studio.

p315Lui se penche sur moi. Premier baiser – enfin ! – si fantasmé depuis mes 16 ans ! Nos peaux lissent l'une sur l'autre, un délicieux désordre maladroit s’installe qui réordonne – toujours, les premières fois – le lit. Au réveil, Pierre-Marie pose sur nos draps le plateau du petit-déjeuner. Dans cinq heures, son régiment me le réclamera. Eperdus, égarés dans nos vingt ans, cette toute première nuit partagée, volée à nos éducations, n'a pas survécue -- sinon dans ma mémoire -- aux soubresauts de leurs menaces. Recroquevillé sur moi-même, le regard au dessus de l'épaule gauche, je scrute avec hantise un passé qui me mordrait les fesses. Si le même hiver et le même froid, les mêmes volets hermétiquement clos, savent réduire trente années d'errances en un souvenir d'une fraction de seconde, alors le train en provenance de Karlsruhe ne devrait pas tarder à entrer en gare, n'est-ce pas ? J'attends donc, le corps encore gelé -- mais les yeux clos dans le noir de cet appartement de 2013 -- qu'il ne bondisse sur le quai, habit kaki et rangers noires. Pierre-Marie, ce soir, me manque cruellement.
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