Février
2011, je suis allé à Lille, pour une consultation ORL. Rien de bien
grave, suis habitué, c'est de naissance. Ça m'a toujours décalé par
rapport aux autres, isolé d'eux. Je me retrouve à arpenter le boulevard
de la Liberté en attendant mon rendez-vous... Fin d'après-midi, des ados
passent en grappes. Mignons certains, la plupart me laissaient
indifférents.
Je
me disais que tous ces « gamins » entamaient, poursuivaient,
terminaient leurs études supérieures. Que bientôt, ils intégreraient des
entreprises, mi-requins mi-planctons... 
En
1991, j'avais peur, à cause de son jeune âge d'alors, qu'il ne se fasse
manger... Après notre rupture, j'ai eu l'occasion, une seule fois, de
lui demander comment ça se passait pour lui, à Lille. Il entamait des
études à « la Catho » et franchement, j'avais très peur pour lui, à
cause de son innocence et de son inexpérience du « milieu homo »...
- « J'ai un mec. Un camarade de promo. Mais il veut toujours qu'on fasse ça à plusieurs...et tous les soirs ! »
Mon
cœur s'est mis à se serrer comme une vieille éponge, des larmes ont
commencé à me monter aux yeux. C'était de la rage. De la rage de voir
une si douce nature confrontée à un monde si violent dont j'aurais tant
voulu la protéger...
- « Mais c'est bon : je lui ai dit d'aller se faire foutre ! Moi, c'est pas ce que je recherche... »
Il
cherchait un Grand Amour. Je lui avais offert le mien qu'il avait
décliné. J'en pleure encore aujourd'hui mais ce ne sont plus les mêmes
larmes qu'alors : le petit Che-Nen, qui trainait ses soirées dans les
remparts de Maubeuge, qui frappait violemment son père parce qu'ils ne
savaient l'un l'autre pas communiquer leurs douleurs autrement... Cet
« enfant » qui aimait reposer sa tête noire de cheveux longs sur mon
torse – « je voudrais cette nuit éternelle », me disait-il – après nos
virées nocturnes au Rocambole et avant qu'il ne se décide à rentrer chez
lui... Cet adolescent si frêle que je le croyais condamné à mourir de
chaque chagrin vécu... Cet homme en devenir me rassurait derrière son
« je lui ai dit d'aller se faire foutre » : il me disait en fait de ne
plus m'inquiéter...que même si jamais plus nous ne devions nous aimer,
plus jamais même nous revoir, ni même plus du tout nous parler, je
n'avais pas à m'en faire : il saurait très bien se protéger, se défendre
voire même attaquer...
J'ai
appris récemment qu'il habitait, travaillait comme ingénieur à Daegeon
en Corée du Sud, l'autre bout de l'univers pour moi, l'autre moitié pour
lui. Il est eurasien.
Che
Nen s'est révélé du genre requin...Si à l'époque mes larmes étaient
nostalgiques et tristes, aujourd'hui elles expriment ma fierté, mon
bonheur et ma joie de savoir cet être-là devenu quelqu'un de bien.
Cette discussion qui date d'octobre-novembre 1991, fut notre ultime échange amical. Le chaos ensuite.