mardi 8 février 2011

11 - Boulevard de la Liberté

Février 2011, je suis allé à Lille, pour une consultation ORL. Rien de bien grave, suis habitué, c'est de naissance. Ça m'a toujours décalé par rapport aux autres, isolé d'eux. Je me retrouve à arpenter le boulevard de la Liberté en attendant mon rendez-vous... Fin d'après-midi, des ados passent en grappes. Mignons certains, la plupart me laissaient indifférents.
Je me disais que tous ces « gamins » entamaient, poursuivaient, terminaient leurs études supérieures. Que bientôt, ils intégreraient des entreprises, mi-requins mi-planctons... 11 - Boulevard de la Liberté
En 1991, j'avais peur, à cause de son jeune âge d'alors, qu'il ne se fasse manger... Après notre rupture, j'ai eu l'occasion, une seule fois, de lui demander comment ça se passait pour lui, à Lille. Il entamait des études à « la Catho » et franchement, j'avais très peur pour lui, à cause de son innocence et de son inexpérience du « milieu homo »...
- « J'ai un mec. Un camarade de promo. Mais il veut toujours qu'on fasse ça à plusieurs...et tous les soirs ! »
Mon cœur s'est mis à se serrer comme une vieille éponge, des larmes ont commencé à me monter aux yeux. C'était de la rage. De la rage de voir une si douce nature confrontée à un monde si violent dont j'aurais tant voulu la protéger...
- « Mais c'est bon : je lui ai dit d'aller se faire foutre ! Moi, c'est pas ce que je recherche... »
Il cherchait un Grand Amour. Je lui avais offert le mien qu'il avait décliné. J'en pleure encore aujourd'hui mais ce ne sont plus les mêmes larmes qu'alors : le petit Che-Nen, qui trainait ses soirées dans les remparts de Maubeuge, qui frappait violemment son père parce qu'ils ne savaient l'un l'autre pas communiquer leurs douleurs autrement... Cet « enfant » qui aimait reposer sa tête noire de cheveux longs sur mon torse – « je voudrais cette nuit éternelle », me disait-il – après nos virées nocturnes au Rocambole et avant qu'il ne se décide à rentrer chez lui... Cet adolescent si frêle que je le croyais condamné à mourir de chaque chagrin vécu... Cet homme en devenir me rassurait derrière son « je lui ai dit d'aller se faire foutre » : il me disait en fait de ne plus m'inquiéter...que même si jamais plus nous ne devions nous aimer, plus jamais même nous revoir, ni même plus du tout nous parler, je n'avais pas à m'en faire : il saurait très bien se protéger, se défendre voire même attaquer...
J'ai appris récemment qu'il habitait, travaillait comme ingénieur à Daegeon en Corée du Sud, l'autre bout de l'univers pour moi, l'autre moitié pour lui. Il est eurasien.11 - Boulevard de la Liberté
Che Nen s'est révélé du genre requin...Si à l'époque mes larmes étaient nostalgiques et tristes, aujourd'hui elles expriment ma fierté, mon bonheur et ma joie de savoir cet être-là devenu quelqu'un de bien.
Cette discussion qui date d'octobre-novembre 1991, fut notre ultime échange amical. Le chaos ensuite.

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