dimanche 4 décembre 2011

48 – Télescopage

Pourquoi lui a-t-elle ouvert notre porte ? Cette voix incertaine – un peu rauque même, éraillée à l'occasion – meublait le salon d'une conversation intimiste. Elle écoutait, silencieuse, cet inconnu d'à peine 16 ans. Désarmée face à cette candeur. Impuissante devant tant de beauté. Percluse de douleurs muettes. Tétanisée à l'idée d'une défaite annoncée. Elle souffrait. S'organisait-elle déjà pour me faire payer cette torture ?


Pourquoi était-il venu jusqu'à notre porte ? Egaré dans cet amour de géants, Che-Nen s'embourbait, pétri d'incertitudes, en quête de réponses mais à d'éternelles fausses questions. Sans s'en apercevoir, il livrait à ses pieds les armes qui me tueront. En proie sans cesse à son image kaléidoscopique, morcelée, toujours éparpillée, Che-Nen émit le souhait de se pencher sur mon fils endormi. Tous deux d'ailleurs -- pur hasard ? -- portent le même prénom français. Et tel mon père qui se pencha sur ce petit-fils, trois ans auparavant, déroulant ainsi d'un regard le fil rouge de la paternité, je crus percevoir dans le regard de ce jeune amant, la même volonté de se reconnaitre. Aujourd'hui encore, lorsque je regarde mon fils -- dont la mémoire n'a gardé aucune trace de cet épisode de mars 1991 -- je revois se pencher et mon père et Che-Nen. Troublant télescopage.
Je n'avais plus qu'à rentrer, m'asseoir et attendre mon sort. La gentillesse à mon égard dont elle fit preuve devant Che-Nen n'eut d'égal que le sadisme avec lequel elle m'achèverait plus tard. Confusément, je mesurais le danger encouru à l'indifférence de son regard. Pourtant, je me suis assis, j'ai pris part à la conversation soi-disant anodine. Et j'ai attendu sa vengeance. Avec la même angoisse – sourde et faussement calme, dit-on – que les condamnés à mort.

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