Peu à peu, mes nuits se métamorphosent en champs de
batailles. Au-delà de mes paupières pourtant apaisées, d'antiques monstres se
massacrent pour les plaines de ma mémoire. Ici, un père punit son fils – tous
deux ont les traits de Che-Nen, l'un jeune, l'autre pas. Un fils resté inerte,
pétrifié par tant de sauvagerie déployée. Là, un amant – cher à mon cœur –
massacre cruellement le visage d'un autre, et rit en se tournant vers moi qui
l'admire. Plusieurs, aux masques de cire blanche, profitent de leur anonymat
pour torturer Che-Nen. Néanmoins identifiés – untel, à la noirceur de sa
tignasse...ou lui, à cette cicatrice pubienne...ou cet autre encore, à son
sourire carnassier – leur ignominieuse besogne se poursuit, assurés qu'ils sont
de leur impunité.
De quel droit ces souvenirs déferlent-ils ainsi, en
hordes barbares ? De quelle loi pensent-ils être les défenseurs pour hurler
ainsi ces haines sauvages ? Quelles jalousies les poussent à salir la
mémoire de Che-Nen ? Au milieu de la nuit, en sueur, je les chasse,
haletant. Ils se calment mais restent là ! J'ai les yeux bien ouverts
pourtant ! Ils profitent de l'encre de la chambre et ourdissent quelques
nouveaux plans en catimini.
La dépouille de ce pauvre Che-Nen, à mes pieds –
humiliée, disloquée, sans âge – gît. De plomb, ses traits semblent sereins. A
lui aussi, on a cousu les paupières. Ses lèvres exsangues suggèrent un triste
sourire. Les miennes – au contact des siennes – ne lui redonnent pas vie. Une
rage à mon cœur me crie vengeance de nos pères et nos amants. Un geste vers
eux...et Che-Nen déjà s'éloigne.
La lumière ni la voix rassurante de mon amant n'assèchent
mes larmes. La nuit, roche tarpéienne, se délite définitivement avec l'eau
fraiche qu'il me fait boire.
S'abandonner à rêver du passé peut se dire [chóng wēn
jiù mèng] :
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