jeudi 19 février 2015

07 - Lettre n°4


(1) Pendant une demi-année scolaire, sans vraiment pouvoir maitriser, je passais le plus clair de mon temps à parler de moi à mes élèves, à les prendre comme témoin.
(2) Mon ex-épouse n'a jamais pu admettre qu'elle pouvait avoir tort. Cette intransigeance provoquait parfois des situations absurdes en l'obligeant parfois à nier les évidences.



                                                Lettre n°4
                                                    de B......., le 24 mars 1999.


                                       
                            Mon cher père,
Je me permets de t'écrire de nouveau sans attendre ta réponse (toi et moi savons parfaitement combien cette phrase est un artifice, une sorte de luxe rhétorique) tant je suis profondément perturbé depuis quelques temps.
Je le suis sans doute à cause de mes élèves... Je ne sais pas pourquoi mais, depuis ton départ, j'ai lentement glissé -- face à eux -- vers une posture dangereuse : celle qui consiste à n'être que grâce à eux (1). Grâce au soutien du docteur I**** (dont je te causerai un jour), j'étais peu à peu parvenu à éviter ce piège, ce leurre. Mais là... Boum ! "Boumbada...boum", Lilou multi-pass et compagnie... depuis ton départ, oui.
Sans doute devais-je de nouveau trouver un renvoi de mon image satisfaisant. Et bien-sûr, ce qui devait arriver arriva : ce genre de jeu est, très, dangereux.
Néanmoins suis-je entrain de m'en sortir peu à peu. La pente est longue à remonter, savonneuse aussi. Et quoi ? Voilà que ma propre épouse se met aussi à gratter le morceau de savon. Oh ! ce ne sont que quelques copeaux mais c'est bien suffisant pour me faire de nouveau glisser... Sans le faire exprès, insidieusement, me voilà responsable de choses négatives... Responsable d'une pompe qui merde, d'un raisonnement fallacieux, de l'absence de relations amoureuses physiques, de son mal d'estomac, d'une ambiance corrosive à la maison.
Trois fois depuis une semaine, l'envie m'a pris de partir, de tout plaquer là, de ne plus avoir la force de faire les efforts nécessaires pour que les autres se sentent bien.
Et trois fois, je ne l'ai pas fait... M'enfonçant davantage dans l'idée nauséabonde que de responsable j'en devenais coupable.
J'ai essayé chaque fois de m'expliquer. Chaque fois j'ai tenté de lui démontrer combien son refus systématique d'avoir tort (2) me pesait puisque cela m'obligeait à en prendre la charge. Charge trop lourde pour mes petites épaules. Tu sais, toi, combien je suis fragile, cassant, cassé, fêlé. Que ces fêlures-là peuvent aussi bien être un formidable moteur tout aussi bien qu'une saloperie de machine à tuer.
Ces temps-ci sont, très, difficiles à vivre.
A bientôt,

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